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« La femme de Léonidas eût dit : — Viens le prendre ! —

« L’autre femme était la cuisinière Aimée, — semblable à toutes les cuisinières possibles.

« Aimée et Tronquette couchaient ensemble dans un petit pavillon, à l’entrée du jardin, sur la porte duquel était écrit :


Parlez à Tronquette.

« M. Albert Glatigny fut surpris un jour dans ce pavillon, excitant violemment les deux pécores aux voluptés de la tribaderie.

« La vertu de Tronquette se manifestait en ce moment sous la forme d’un manche à balai, qu’elle brandissait sur la tête, la vraie tête[1], de ce poète immoral, mais convaincu.

« Chaque chose, chaque animal du jardin avait un nom particulier, destiné à illusionner les étrangers sur sa nature et son origine.

« Le puits se nommait : Les Sources du Nil ;

« Un puisard : L’Hippocrène ;

« Un espace sablé, réservé pour faire des armes : Le Champ-de-Mars ;

« La cage aux chiens : La Ménagerie ;

« Follette, chienne caniche : Lionne de l’Atlas ;

« Pip, chien ratier : Tigre du Bengale ;

« Un chat empaillé, enchaîné au sommet du puits : Singe du Pérou, rapporté par le capitaine Camil ;

« La cage aux poules portait cette inscription : Coq de Gruyère, donné par le consul de France à Batignolles ;

« Une pie noire, aux ailes éboutées, qui sautillait çà et là, avait été baptisée Perle noire, en l’honneur de la pièce de M. Sardou.

« Les arbres portaient des étiquettes du même genre :

« Un abricotier : Saucissonnier à l’ail (Saucissonnierus alliaca ; Linnæus), donné par M. Champfleury ;

« Un sapin : Bretellier des Alpes (Bretellarium alpinium ; Linnæus), donné par M. de Lamartine ;

« Un prunier : Cubèbe commun (Cubebus communis ; Linnæus), donné par Mlle  Suzanne Lagier.

« Etc., etc., etc.

  1. M. Albert Glatigny a été surnommé par M. Poulet-Malassis « le poète Gland ». Intelligenti pauca. (Note du texte).