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Dans la forêt profonde et obscure se pressait une foule d’êtres beaux ou laids, gais ou tristes. Étaient venus les démons incubes et succubes qui sont de quatre sortes : Les égypans, faunes et sylvains ; les gnomes et les pygmées ; les nymphes ; les pyraustes, vulcains et feux-follets. Étaient venus aussi, en arrois différents, les enchanteurs de tous les pays : Tirésias, l’aveugle que les dieux firent parfois changer de sexe ; Taliésin, Archélaüs. Étaient venues aussi les enchanteresses : Circé, Omphale, Calipso, Armide. Étaient venus aussi les vampires, les stryges, les lamies, les lémures en bruit prophétique de castagnettes. Étaient venues aussi les devineresses ou prophétesses, la prêtresse de Delphes, la pythonisse d’Endor, la sibylle de Cumes. Étaient venus des diables de toutes hiérarchies, les diablesses et les satanés les plus belles. Étaient venus les pauvres sorciers en quête de chalands pour leurs drogues infectes et les sorcières ancillaires et pratiques, portant les ustensiles indispensables à leurs fonctions infimes : marmite et balai. Étaient venus les magiciens renommés, alchimistes ou astrologues. Parmi ces derniers, on remarquait trois fantômes de rois orientaux venus d’Allemagne, vêtus d’habits sacerdotaux et coiffés de la mitre.

LES TROIS FAUX ROIS MAGES

Autrefois nous regardions souvent les étoiles, et l’une que nous vîmes une nuit, discourant au milieu du ciel, nous mena, mages venus de trois royaumes différents, vers la même grotte, où de pieux bergers étaient déjà venus peu de jours avant le premier jour de cette ère. Depuis lors, prêtres d’occident nous ne saurions plus nous laisser guider par l’étoile et pourtant des fils de dieux naissent encore pour mourir. Cette nuit, c’est la Noël funéraire et nous le savons bien, car si nous avons oublié la science des astres, nous avons appris celle de l’ombre, en Occident. Nous attendions depuis notre décollation cette nuit bienheureuse. Nous sommes venus dans la forêt profonde et obscure guidés par l’ombre. Or, nos chefs sont pâles, ils sont vides de sang, du sang oriental, et pâles comme des têtes occidentales. Nous sommes venus ici guidés par l’ombre.

FAUX BALTHAZAR
au chef livide, blanc comme les taches des ongles


            Le fils d’un des plus petits faux dieux
            Par amour est mort très vieux.
            Pour guider vers lui pas de sidère,
            Rien qu’une ombre sur la terre.

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