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bois d’oliviers où moi-même j’ai vécu longtemps, vénéré de tous. Ma sagesse était alors donnée en exemple ; on me figurait sur les pièces de monnaie. Je suis heureux d’y voir clair la nuit, je reconnais de vieilles choses comme font les antiquaires. Mais, je suis content aussi de n’être pas sourd ; j’ai entendu les énigmes admirables de ce troupeau qui est toujours sur le point de mourir.

Arriva un monstre qui avait la tête d’un chat, les pieds d’un dragon, le corps d’un cheval et la queue d’un lion.

LE MONSTRE CHAPALU

Je l’ai vu une fois et ne m’étonnerais pas s’il était mort. Il était bien vieux. Je le cherche parce qu’il était savant et aurait su me rendre prolifique. Pourtant je vis heureux, tout seul. Je miaule. Tant mieux s’il vient, croyant que je veuille le prendre en croupe. S’il est mort, tant pis, je m’en bats les flancs.

LES CHAUVES-SOURIS,
volant lourdement

Foin des enchanteurs ! Ils se font trop de mauvais sang… Nous cherchons des gastronomes apoplectiques. Mais il en vient rarement dans la forêt. Nous sommes si douces, aux suçons si voluptueux et nous nous aimons. Nous sommes prédestinées, angéliques et amoureuses. Qui ne nous aimerait ? Ce qui nous cause du tort ce sont les sangsues et les moustiques des étangs. Nous nous aimons et rien n’est si édifiant que de nous voir accouplées, les soirs de lune, nous, les vrais exemples de l’homme parfait.

LES GUIVRES
aux belles lèvres, au corps squameux, se tordant sur le sol en mille replis.

Nous sommes plus nombreuses qu’on ne pense. Nous voudrions le baiser sur nos lèvres, nos belles lèvres. Enchanteur, enchanteur nous t’aimons, toi qui nous donnas le si bel espoir qui, sans doute, un jour, sera la réalité. Avant la ménopause, s’entend, car il nous serait inutile, après, d’avoir la bouche en cœur, à nous qui sommes des bêtes, sauf le baptême. Malgré ce bel espoir, nous nous mordons les lèvres, nos belles lèvres, souvent en nos gîtes accessibles.

LES GRENOUILLES

Nous ne savons pourquoi, mais nous qui sommes royales sans chanter comme des reines, nous assistons aux sabbats inutiles. On nous poursuit commes des reines veuves, Ô femmes attendrissantes ! Ô femmes !