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Pendant que sur les carrés républicains se ruaient Mourad-Bey et ses mamelucks, centaures flamboyants qui venaient s’éteindre sous la baïonnette, ce badaud, la cuisse trouée d’une balle, le crâne balafré par les cimeterres, aveuglé de sang, déchiré, ébloui, mais toujours debout, ce novice pensait que c’était bien beau de cavalcader et de galoper à travers les fusils et les canons, les éperons enfoncés dans le ventre de sa monture, la bride aux dents, le pistolet d’une main, le bancal de l’autre. Il rêvait à cela. Le lendemain de la bataille, la tête enveloppée d’un mouchoir, assis sous un palmier, il dégoisait à tue-tête une romance méridionale. Chevauchant par là, certain général natif de l’Auvergne apprécia le troubadour et s’approcha de lui.

— Que gazouilles-tu là, rossignol ? dit-il avec bonté.

— Je chante la Pastourelleto de la Coumbo Prioudo (la petite bergère du Val-Profond).

— D’où es-tu, du Languedoc ou de la Cascogne ?

— Je suis de là près, en Quercy.

— Bien !… Je te fais caporal !

— J’aimerais mieux être brigadier…

— Ah ! ah ! Tu voudrais passer dans la cavalerie ?

Le jeune ambitieux sourit et répliqua franchement :

— Oh ! oui, je serais bien aise de me battre à cheval, avec une lame.

Il fut contenté : si brave, le Sultan juste était si bon !

À quelque temps de là, sur la rive gauche du Fontanone, on se mesura derechef avec les Autrichiens de Mêlas. Son adversaire, le généralissime de France, alors collègue de Lebrun et de Cambacérès, avait perdu la bataille ; Desaix arrêta la déroute ; Kellermann, pour forcer la victoire, commanda à ses dragons d’ôter la bride aux chevaux et de se laisser tomber sur l’ennemi, ventre à terre. Le sabre de Quercynois fit à Marengo ce qu’avait fait sa baïonnette aux Pyramides. En Égypte, le fantassin avait eu du sang jusqu’à la cheville, le cava-