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Puis Hein parla seul, bredouilla ce qu’il voulut, et les deux autres ne l’écoutaient plus. Ils étaient plongés dans une songerie tenace, évitant de se regarder et se comprenant.

Au milieu de sa hâblerie, le garçon meunier fut remué d’une frousse à propos d’un billet de cinq cents francs que lui avait remis le marchand chez lequel il avait acheté ses habits.

Il tira de sa poche un foulard fermé de gros nœuds à ses bouts, défit les coins et en sortit un petit paquet formé de plusieurs journaux superposés et enveloppant un portefeuille ; finalement il prit dans le portefeuille une liasse de billets qu’il s’embrouillait à numérer.

— Une, deux, trois… Trois, deux, trois, quatre… Je n’aime pas les billets, mais c’était plus commode… Cinq, six, sept…

Ainsi de suite. Tandis qu’il comptait, les larges billets s’étalaient, soyeux, comme une chair, comme de la vie, pêle mêle.

Balt fumait à petits coups, considérant cette fortune. Il dit à Hein, tranquillement :

— Je vous crois, à présent, puisque voilà l’argent !

Bast, blême, claquait des dents, et un tremblement agitait ses mains. Il continuait de sourire, ouvrant la bouche pour parler sans trouver une parole ; et il ne quittait pas des prunelles les billets.

De minute en minute, tous deux se rapprochaient, attirés par l’argent, Bast tendant ses mains en avant, Balt, froid, remuant seulement ses pouces, d’un mouvement régulier.

Et tout d’une fois, comme un ressort, ces terribles pouces s’ouvrirent et Balt leva les deux mains, les abattit au cou de Hein avec une violence extraordinaire, comme un bûcheron qui entame un chêne.

Les énormes pouces entraient dans la chair, la pétrissaient, et il se mit à étrangler le garçon meunier, les coudes écartés, pesant sur lui de toute sa force, féroce, des cris de bête dans la gorge.

Hein ouvrit démesurément les yeux, laissa pendre hors de sa bouche sa langue devenue dure comme un caillou, commença un mouvement et demeura, les mains en l’air, noircissant à vue d’œil. Alors, Bast à son tour se rua sur lui et