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épris qu’après s’être donné toutes les bonnes raisons pour refuser, il trouva toutes les mauvaises afin d’accepter.

Il présenta donc Mme Humbert à Nina qui se fit charmante pour la recevoir ; d’autre part, Raymond tout à fait rassuré par la présence d’une femme aimée, quitta ses airs de capitan. Après quelques visites échangées, un certain nombre de dîners reçus et rendus, les ménages devinrent intimes, se montrèrent partout ensemble au bal, au théâtre, dans le monde ; l’été venu, ils louèrent sur une plage écartée une villa à frais communs et s’y installèrent en parfait accord.

Ce fut là, derrière un rocher, par un beau soir sans lune, sur un sable doux comme un oreiller que Nina et Humbert échangèrent leurs premiers baisers, tandis que dans le salon de la villa, Raymond accompagnait au piano la voix argentine de la jeune Italienne et qu’ensemble ils chantaient dans la langue de l’amour les duos les plus passionnés du répertoire.

N’allez pas croire en lisant ce véridique récit que Raymond savait… Allons donc ! pour qui le prenez-vous ! Il faut être joliment perverti pour avoir semblable idée, et pour mon compte, elle ne m’est point venue ! Il était sûr de la fidélité de sa femme, voilà tout, et Mme Humbert persuadée de celle de son mari. Le plus malheureux des quatre était encore ce pauvre Humbert, qui non seulement était féru de passion, mais encore de jalousie. Quand la nuit arrivait, que Nina se retirait dans sa chambre avec Raymond, le peintre courait comme un fou sur la plage, regardant la fenêtre éclairée de la dame et, en vrai héros de 1840, déchirant de rage impuissante sa poitrine de ses ongles. Elle lui avait juré que… Mais va-t-on voir s’ils viennent. Jean ! Elle était si jolie, si tentante, Raymond si amoureux… Il n’y avait pas moyen de croire deux minutes de suite à ce que la belle avait promis.

Quelquefois, quand elle l’avait vu bien irrité, bien sombre, la Nina s’échappait de sa chambre, laissant Raymond endormi, et seulement vêtue de son peignoir venait le retrouver. C’étaient là de chères heures achetées par de terribles angoisses… S’il s’éveillait ? Nina frissonnait de terreur à cette pensée. Vite ! on mettait les baisers doubles, ils n’en étaient pas moins savourés. D’ailleurs, ce n’était point leur faute. La coupable était la mer, cette grande aphrodisiaque qui leur mettait tant d’ardeur dans les veines, tant de sang dans le cœur.

J’ai dit que la femme d’Humbert était jolie comme un ange, je dois ajouter qu’elle était aussi simple que belle… Une créature parfaite. On lui aurait aisément fait croire que les oies avaient des cornes et les poules des dents. Elle ne vit donc rien, d’autant mieux que Raymond s’occupait beaucoup d’elle, lui faisait mille compliments, sans parler du chant qui la passionnait en vraie fille de son pays, lui apprenait à nager le matin, l’après-midi s’asseyait à ses pieds sur le sable, et, à toute heure du jour, se montrait le modèle des cavaliers servants.