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de Robinson Crusoé.

Mais pour revenir à mon nouveau compagnon, j’étois charmé de lui ; & je me faisois une affaire de l’instruire & lui enseigner à parler, & je le trouvai le meilleur écolier du monde ; il étoit si gai, si ravi quand il pouvoit m’entendre, ou faire en sorte que je l’entendisse, qu’il me communiquoit sa joie, & me faisoit trouver un plaisir piquant dans nos conversations. Mes jours s’écouloient alors dans une douce tranquillité, & pourvu que les sauvages me laissassent en paix, j’étois content de finir ma vie dans ces lieux.

Trois ou quatre jours après que j’avois commencé à vivre avec Vendredi, je résolus de le détourner de son appétit cannibale, en lui faisant goûter de mes viandes ; je le conduisis dont un matin dans le bois où j’avois dessein de tuer un de mes propres chevreaux pour l’en régaler ; mais en y entrant, je découvris par hasard une chèvre femelle couchée à l’ombre, & accompagnée de deux de ses petits ; là-dessus j’arrêtai Vendredi, en lui faisant signe de ne point bouger, & en même tems je fis feu sur un des chevreaux & le tuai. Le pauvre sauvage qui m’avoit vu terrasser de loin un de ses ennemis, sans pouvoir comprendre la possibilité de la chose, effrayé de nouveau, trembloit comme la feuille, sans tourner les yeux du côté du chevrau, pour voir si je l’avois tué ou non ; il ne songea qu’à ouvrir sa veste pour