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de Robinson Crusoé.

abondamment de son visage, sur tout quand il parla de la mort de mon frère. Mais lorsqu’il dit que j’aurois le loisir de me repentir, sans avoir personne pour m’assister, il fut si ému qu’il s’interrompit, & m’avoua qu’il n’avoit pas la force de passer outre.

Je fus sincèrement touché d’un discours si tendre ; je résolus de ne penser plus à aller voyager : mais plutôt de m’établir chez nous, suivant les intentions de mon père. Mais hélas ! cette bonne disposition passa comme un éclair : & pour prévenir désormais les importunités de mon père, je résolus de m’éloigner, sans prendre congé de lui. Néanmoins je n’en vins pas si-tôt à l’exécution, & je modérai un peu l’excès de mes premiers mouvemens. Un jour que ma mère paroissoit un peu plus gaie qu’à l’ordinaire, je la pris à part : je lui dis que ma passion pour voir le monde étoit insurmontable ; qu’elle me rendoit incapable d’entreprendre quoi que ce soit avec assez de résolution pour en venir à bout, & que mon père feroit mieux de me donner congé, que de me forcer à le prendre. Je la priai de faire réflexion que j’avois déjà dix-huit ans, & qu’il étoit trop tard pour entrer en apprentissage, ou pour devenir clerc chez un procureur ; que si je l’entreprenois, j’étois sûr de ne jamais finir mon tems, de m’enfuir de chez le maître avant le