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Les aventures

tissoit à rien. Je me considérai donc comme un homme mort ; car je savois bien que l’Isle étoit entourée de deux courants, & que par conséquent à la distance de quelques lieues ils devoient se rejoindre. Je crus donc être irrévocablement perdu : je n’avois plus aucune espérance de vie, non que je craignisse d’être noyé, la mer étoit calme, mais je ne voyois pas que je pusse m’exempter de mourir de faim. Toutes mes provisions ne consistoient qu’en un pot de terre plein d’eau fraîche, & une grande tortue ; mais ces provisions ne pouvoient pas me suffire. Je prévoyois que ce courant me jeteroit en pleine mer, où je n’avois pas d’espérance de rencontrer, après un voyage peut-être de plus de mille lieues, rivage, isle ou continent.

Qu’il est facile à la providence, disois-je en moi-même, de changer la condition la plus triste en une autre encore plus déplorable ! Mons Isle me paroissoit alors le lieu du monde le plus délicieux. Toute la félicité que je souhaitois étoit d’y rentrer. « Heureux désert, m’écriai-je, en y tournant la vue, heureux désert, je ne te verrai donc plus ! Que je suis misérable ! je ne sais où je suis porté ! Malheureuse inquiétude ! tu m’as fait quitter ce séjour charmant, souvent tu m’as fait murmurer contre ma solitude ; mais maintenant que ne donnerois-je point pour