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Les aventures

de ce que par une suite continuelle de prodiges j’avois du pain. Le miracle qu’il avoit opéré en faveur d’Elie, à qui les corbeaux apportoient à manger, n’étoit pas aussi grand que celui qu’il avoit opéré à mon égard. Ma conservation n’étoit qu’une longue suite de miracles. Je considérois d’ailleurs qu’il n’y avoit peut-être aucun lieu dans tout le monde habitable où j’eusse pu vivre avec autant de douceur.

Il est vrai que j’étois privé de tout commerce avec les hommes ; mais aussi je n’avois rien à craindre, ni des loups, ni des tigres furieux, ni d’aucune bête féroce ou venimeuse, ni de la cruauté barbare des Cannibales. Mes jours étoient en sureté à tous ces égards là.

En un mot, si ma vie étoit d’un côté une vie de tristesse & d’affliction, il faut avouer que de l’autre j’y ressentois des effets bien sensibles de la miséricorde divine. Il ne me manquoit rien pour vivre avec douceur que d’avoir un sentiment vif & continuel de la bonté de Dieu & de ses soins envers moi. Ces pensées, quand j’y réfléchissois, me consoloient entièrement, & faisoient évanouir mon chagrin & ma mélancolie.

Il y avoit déjà long-tems, ainsi que j’ai dit ci-dessus, qu’il ne me restoit plus qu’un peu d’encre ; je tâchois de la conserver, en y mettant de l’eau de tems en tems ; mais enfin elle devint si pâle