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Les aventures

à manger : Dieu pourroit-il dresser une table dans le désert ? Et moi, aussi incrédule qu’eux, je me mis à dire : Dieu lui-même pourroit-il me délivrer de cette place ? Et comme ce ne fut qu’après bien des années qu’il se manifesta quelque sujet d’espérance, aussi ces défiances venoient-elles souvent me maîtriser ; néanmoins, les paroles que j’avois lues me touchoient, & je les méditois très-souvent. Il se faisoit tard, & le tabac, comme j’ai déjà dit, m’avoit si fort appesanti la tête, qu’il me prit envie d’aller dormir : je laissai donc brûler ma lampe dans ma caverne, de peur que je n’eusse besoin de quelque chose pendant la nuit, ensuite je m’allai coucher ; mais auparavant je fis ce que je n’avois fait de mes jours ; je me mis à genoux, je priai Dieu, le suppliant d’accomplir la promesse qu’il m’avoit faite, que, si je l’invoquois au jour de mon affliction, il me délivreroit. Après que cette prière précipitée & imparfaite fut finie, je bus le rum dans lequel j’avois infusé le tabac, & qui en étoit si imbu & si fort que j’eus beaucoup de peine à pouvoir l’avaler : incontinent cette potion me donna brusquement à la tête ; mais je m’endormis d’un si profond sommeil, que quand je me réveillai après cela, il ne pouvoit pas être moins de trois heures après midi : je dirai bien plus, c’est que je ne saurois encore m’ôter de la tête que je dormis tout le