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Les aventures

un si long espace, il me soit jamais venu la moindre pensée de m’élever vers Dieu, pour admirer sa sagesse, ou de descendre au-dedans de moi-même, pour y contempler ma misère : une certaine stupidité d’ame s’étoit emparée de moi, & en avoit banni tout desir du bien, & toute sensibilité au mal ; j’avois tout l’endurcissement qu’il faut pour être un modèle de libertinage parmi les matelots de la plus méchante espèce ; n’ayant aucun sentiment, ni de crainte de Dieu dans les dangers qui se présentoient, ni de gratitude envers lui dans les délivrances qu’il opéroit.

On n’aura pas de peine à croire ce que je viens de dire, si l’on réfléchit sur les traits précédens de mon histoire, & j’ajoute que, parmi cette foule de malheurs qui m’arrivèrent successivement, je ne m’avisai pas une seule fois que ce pouvoit être la main de dieu qui s’appesantissoit sur moi, que c’étoit une punition de mes crimes, de ma désobéissance envers mon père, ou du cours entier d’une méchante vie. Dans cette expédition désespérée que je fis sur les côtes désertes d’Afrique, il ne m’arriva nullement de réfléchir quelle seroit ma dernière fin, ni de m’adresser à dieu pour lui demander de diriger ma course, & de me couvrir du bouclier de sa providence, pour me mettre en garde