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les langues et les nationalités au canada

tout cela de ses yeux. Au milieu des merveilles plus surprenantes les unes que les autres dont il émailla son discours, il en vint à nous parler de la langue suisse. Alors, n’y tenant plus, je lui fis remarquer, à sa profonde surprise, qu’il n’y a pas de langue suisse ; pas plus qu’il n’y a de langue belge ou de langue canadienne. Ce qui n’empêche qu’il y a quand même une nation suisse, et une nation belge ; et que, peut-être, un jour il y aura une nation canadienne, — pourvu que nos politiciens actuels n’achèvent pas de l’étouffer dans son berceau, avant qu’elle n’ait eu la chance de se donner des gouvernants assez sages pour la laisser se former et se développer normalement.

Le cas de notre homme n’est pas unique, croyez-le bien. Les surhommes de la race supérieure que j’ai connus sont presque tous de la même force en histoire et en ethnographie. Quant aux publicistes anglo-canadiens, il suffit de lire leurs élucubrations pour se convaincre que leurs connaissances historiques sont toutes subjectives et qu’ils les ont puisées uniquement dans leur imagination.

Donc, que la masse de la population anglaise et la presque totalité des publicistes anglo-canadiens acceptent comme vérité incontestable cette absurdité antihistorique, que l’unité de langage est indispensable pour constituer l’unité nationale d’un peuple, ça ne m’étonne pas du tout. Ce qui m’étonne, par exemple, c’est de voir des membres du haut enseignement tomber dans le même pathos. Car, quand on est professeur d’université, même à Saskatoon ; quand on enseigne le droit constitutionnel dans une Haute-école, même en Saskatchewan, on devrait avoir des connaissances historiques un peu plus complètes que celles du commun de ses compatriotes. Et il me semble qu’une connaissance, même légère, de l’histoire et une considération, même superficielle, de l’état des différents peuples devraient suffire à convaincre tout homme de bonne foi que, chez aucun peuple, l’unité de langage n’a jamais été une condition essentielle de l’unité nationale.

Y a-t-il jamais eu de nation unilingue ? Probablement ; immédiatement après la dispersion des peuples, à la suite de