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MADAME ARVÈDE BARINE


Qu’une femme puisse égaler pour l’exactitude de la méthode critique les érudits de métier, et pour l’ordonnance de l’exposition les historiens de profession, Mme  Arvède Barine en a fait la preuve. Les deux volumes qu’elle a publiés sur la Grande Mademoiselle supposent un redoutable travail d’archives ; sa biographie d’Alfred de Musset est d’excellente histoire littéraire. — Ce travail est soutenu par une connaissance des langues étrangères tout à fait exceptionnelle. Mme  A. Barine a donné une charmante traduction du latin de la Légende des trois Compagnons ; elle entend la plupart des langues de l’Europe. — Enfin elle est informée au jour le jour de ce qu’on pourrait appeler le mouvement européen, et cette enquête incessamment poursuivie depuis trente ans, va de la littérature aux faits sociaux. Dès ses débuts, qui datent de la fin du premier Empire, en même temps qu’elle donnait des articles de critique littéraire à cette bibliothèque de Lausanne dont Sainte-Beuve et Juste Ollivier ont été si longtemps les collaborateurs, et tandis qu’elle traduisait de l’anglais (1872) l’ouvrage de M. Herbert Barry sur la Russie, qui lui donnait l’idée de prendre son pseudonyme, elle écrivait des livres sur l’œuvre de Jésus ouvrier et sur les Cercles catholiques.

Dans le travail soutenu qu’a fourni cette curiosité étendue, on reconnaît une adaptation spéciale du sujet. Le plus considérable de l’œuvre de Mme  A. Barine consiste en études dont beaucoup ont paru à la Revue des Mondes où elle collabore ainsi qu’au Journal des Débats, depuis vingt-cinq ans : Portraits de femmes ; Essais et fantaisies ; Princesses et grandes dames ; Bourgeois et gens de peu ; Névrosés. Qu’il s’agisse de Thomas de Quincey ou de la femme arabe d’un bourgeois allemand ; de la princesse de Conti ou de sainte Thérèse, Mme  A. Barine est admirable pour isoler dans un caractère ou dans un fait ce qui est vivant, personnel, essentiel ; par cette intuition du sujet, elle construit avec un relief étonnant les traits d’un personnage ; elle nous montre de la Grande Mademoiselle les déceptions, de Marie Mancini le goût ambitieux, de Mme Carlyle le long calvaire. Elle est l’historien de leur vraie vie.