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doon de la roche

La version de E, où Olive se fait religieuse, s’écarte encore davantage de la version originale. Celle-ci, conservée, à notre avis, dans N, nous présente nettement le thème de la « mère persécutée, sauvée et vengée par son fils ». Ce thème, fort ancien[1] et qui tient aux sentiments les plus profonds de la nature humaine, a pu être réinventé au cours des siècles ; nous croyons cependant que l’auteur du poème primitif sur Doon de La Roche (O1) avait présent à l’esprit une version d’un conte extrêmement répandu — on l’a noté depuis l’Europe occidentale jusque dans l’Archipel indien —, où une jeune femme odieusement calomniée (le plus souvent par des sœurs, jalouses de son bonheur) et par suite soumise à des traitements indignes, est finalement sauvée et réhabilitée par ses enfants devenus grands, ce qui entraîne, dans les versions bien conservées, le châtiment des personnes qui avaient calomnié la mère[2]. Il est certain que ce conte était connu en France au xiie siècle : des données essentielles empruntées à ce récit ont été combinées avec celles d’un autre conte pour former la première partie du poème du Chevalier au Cygne[3]. Le trait commun à ces récits est avant tout le traitement abominable infligé à la mère calomniée dans un conte syriaque, noté d’après la tradition orale

  1. Nous nous bornerons à citer, pour l’antiquité grecque, l’histoire d’Antiope et de ses fils, Amphion et Zéthos, sujet d’une tragédie perdue d’Euripide, dont on possède un schéma détaillé et dont des fragments assez étendus ont été trouvés, il y a une trentaine d’années, en Égypte. A. D’Ancona, Sacre Rappresentazioni (Firenze, 1872), III, 319, a cité l’histoire de Tyrô et de ses fils, thème d’une tragédie perdue de Sophocle.
  2. Voir E. Cosquin, Contes populaires de Lorraine, I, n° 17 ; le recueil des frères Grimm, n° 96 ; J. Bolte et G. Polivka, Anmerkungen zu den Kinder- u. Hausmärchen der Brüder Grimm, II (Leipzig, 1913), 380-394 ; Revue d’ethnographie et de sociologie, année 1910, p. 210 et suiv., et année 1911, p. 189 et suiv.
  3. Voir Romania, XXXIV, 206 et suiv.