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« On en est venu à permettre que les ouvriers s’organisent en corporations, avec une espèce de syndicat pour chaque profession. C’était un terrain sur lequel l’administration luttait depuis soixante ans. Elle résistait avec une grande sollicitude et une grande sagesse depuis 1791, époque où l’on avait organisé la liberté de l’industrie et du travail. On avait eu soin de dire, en proclamant ce nouveau principe, que la liberté était acquise à l’individu, mais qu’elle était purement personnelle ; et on avait bien senti qu’il fallait éviter la formation de ces forces, collectives qui résultaient des anciennes corporations et jurandes ; pn avait bien senti que si on laissait subsister les associations d’ouvriers, en forces impersonnelles, qui sont insaisissables et irrésistibles, on serait débordé, n’ayant plus, pour les contenir et les pondérer avec les autres intérêts sociaux, le contre-poids de l’ancienne législation.

« On avait donc posé le principe de la liberté commerciale, mais sur le terrain individuel personnel, et on avait exclu très-formellement les coalitions d’ouvriers et les associations de patrons. De là l’interdiction de constituer dans l’industrie parisienne des sociétés permanentes avec des syndicats, c’est-à-dire des associations ouvrières. Eh bien, on a insensiblement permis : tout cela ; on disait au gouvernement de l’empereur : il faut désintéresser les classes ouvrières de la politique ; elles n’ont fait de l’opposition et des révolutions que parce qu’on les a tourmentées, parce qu’on a restreint leur liberté sur le terrain économique et industriel. Si vous leur donnez la liberté sur ce terrain, vous n’aurez plus là des adversaires politiques ; les partis ne pourront plus les exciter au nom de leurs intérêts... C’est ainsi qu’on a fait la loi sur les coalitions... puis la loi accordant Je droit de réunion.... !

« L’expérience a été effroyable... laisser le droit de réunion à la population ouvrière de Paris, permettre qu’on exalte, par les théories les plus insensées et les plus extravagantes, celte population incandescente, qu’on l’enfièvre dans ces assemblées désordonnées dont Paris a eu l’exemple sous les yeux, c’est de la déraison ! Ah ! il faut avoir vu l’effet de ces essais téméraires. C’était une frénésie, un véritable incendie. On prêchait ouvertement l’athéisme, la haine de la religion, le renversement de nos institutions sociales : famille, propriété, mariage, droit de succession...

« On s’est trouvé dans cette alternative de laisser tout dire ou de limiter la liberté après avoir annoncé qu’elle serait illimitée. Eh bien, on a laissé tout dire et tout a été dit. Empereur, dynastie, institution, tout a élé attaqué dansles termes les plus audacieux et les plus directs. Ou sait quel état d’esprit s’est créé dans la population ouvrière sous l’influence d’un pareil système... L’empire ne voulait pas faire de répression, parce que s’iben avait fait, il compromettait toute la politique commandée par l’existence et les exigences du suffrage universel. En présence.de ce régime, on ne s’appartenait plus.»

On s’appartenait d’autant moins que la politique impériale, en faisant/pencher la balance du côté des classes ouvrières, avait fini par inquiéter et par désaffectionner la bourgeoisie, qui est, en définitive, la grande force permanente de la nation, parce qu’elle en est le cerveau. Les classes moyennes finirent par ne plus tenir à l’empire qu’en raison de l’ordre qu’il maintenait ; mais elles rêvaient en même temps un régime nouveau, plus favorable à leurs intérêts, de sorte que tout en haïssant les révolutionnaires, elles ne leur opposèrent qu’une

faible résistance. C’est ainsi que le gouvernement impérial finit par s’aliéner une partie de la Classe moyenne sans pouvoir s’assurer l’appui des ouvriers pour lesquels il avait toujours les mains ouvertes.

M. Denormandie, adjoint au maire du VIIIe arrondissement et M. Leblond, procureur général et député, assignent encore d’autres causes au mouvement désordonné des esprits qui fit explosion le 18 mars. «Les causes de l’insurrection remontent à l’empire, dit le premier, et on pourrait se demander si le luxe n’en à pas été une des causes premières, ainsi que l’antagonisme des classes. (Voy. sur ce point l’article FRANCE.) À la fin de l’empire, cet antagonisme de classe à classe était arrivé à un degré de développement qui était une menace perpétuelle pour la société. » Pour M. Leblond, « les causes générales, les causes profondes de l’insurrection de Paris sont les suivantes : Depuis vingt à vingt-cinq ans, il n’y avait dans le pays que de mauvais exemples, perversion du sénsmoral, enseignements détestables. Au lieu de relever les populations en leur signalant des buts d’activité d’une certaine grandeur, on les a fait descendre, on les a abruties, on les a vouées au culte de la matière. Dans Paris, notamment, quelles débauches n’a- t-on pas autorisées et encouragées ? Cet appel aux jouissances matérielles, ces exemples venus d’en haut ont produit les effets qu’ils devaient naturellement produire. La société tout entière s’est pervertie, s’est démoralisée ; les classes élevées, les classes moyennes, les classes inférieures ont été successivement atteintes, et il est arrivé un moment où l’occasion s’offrant à ces dernières, aucun obstacle ne pouvant plus les retenir, tous lès appétits se sont déchaînés et un effroyable désordre a eu lieu.»

Ces fragments détachés dé l’enquête résument tout ce qui a été dit sûr les causes gêné-