Page:Annales du Musée Guimet, tome 7.djvu/319

Cette page n’a pas encore été corrigée
295
LES COQUILLES SACRÉES

anormale et certainement des plus rares que le dieu Vishnou ou ses incarnations tiennent dans leurs mains, fig. 2.

Le Panchajana, a du reste, lui aussi sa légende. C’est la coquille du démon marin Panchajana. Ce démon vivait au fond de la mer sous la forme d’une conque ; comme il avait saisi le fils de Sandipani, qui avait appris à Krishna l’usage des armes, Krishna pris d’un dévouement superbe accouru au secours de l’enfant, terrassa le démon et conserva sa conque parmi ses attributs[1]. Telle serait l’origine de la conque entre les mains du dieu.

Mais à cette légende, on peut en opposer une autre qui explique tout aussi bien le même fait. Krishna est parfois représenté sous des formes bien différentes : « Héros persécuté dans son enfance comme Hercule, dieu triomphant couronné de fleurs comme Apollon chez Admète, sauveur promis, attendu comme le Messie, il semble que, pour le peindre, les sages et les poètes indous aient puisé à toutes les traditions anciennes et contemporaines répandues dans le monde[2]. » Krishna, gardeur de troupeaux, représenté sous la forme de Govinda ou Gopala porte encore la conque dans sa main, comme s’il voulait s’en servir pour rappeler à lui ses bêtes égarées. Cette idée de la conque comme symbolisme du pasteur semble ainsi des plus naturelles, puisqu’il suffit de briser le sommet de la coquille pour s’en servir comme d’une trompette, tel le buccinum des Latins ou le ϰῆρυξ des Grecs[3].

Dans la religion brahmanique, nous allons encore trouver d’autres dieux armés de la conque. Durgâ, Ganeça, Dévi, Sourya sont aussi quelquefois représentés avec une coquille à la main. Mais ces divinités appartiennent à une autre secte que celle de Vishnou.

Çiva, une des divinités du Brahmanisme, tout à la fois dieu créateur et destructeur, personnifiant l’action de la nature qui détruit ce qu’elle a créé

  1. Sur la couverture extérieure de l’édition de la Bhagavadgita de Thomson, ou voit au fond de la mer le démon Panchajana sortant de sa coquille, et à la surface des eaux Vishnou qui s’est incarné en poisson pour combattre et tuer Panchajana ; c’est la coquille de ce démon dont Vischnou ou Krishna s’est emparé.
  2. Théodore Pavie, Krichna et sa doctrine, p. 33.
  3. Aujourd’hui encore, dans la Corse et dans la Sardaigne les bergers se servent du grand Tritonium nodiferum, comme d’une corne ou d’une trompe. Il suffit de briser la pointe de cette coquille et de souffler un peu fortement par ce sommet. En 1871, aux portes même de Bastia, les conducteurs de trains de remblais du petit chemin de fer servant à l’entreprise du port n’avaient point d’autre instrument pour prévenir de leur passage.