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LE RÂMÂYAṆA.

La transformation des hommes de grand mérite en dieux s’est donc accomplie grâce à l’admiration ou à la reconnaissance qu’on éprouvait pour eux une fois qu’ils n’étaient plus, absolument comme Cicéron le dit de Romulus. C’est ainsi qu’Épicure enseignait, qu’on ne doit pas craindre la mort et les dieux, mortem et deos[1]. C’est probablement parce qu’il pensait que la mort peut vous changer en dieu, et que la nature de cet être le rendant son égal, il n’avait pas à avoir peur de lui.

Je pense que je n’ai pas à m’excuser de cette digression, si toutefois c’en est une. Nous verrons en effet que le Râmâyana dit des dieux qu’ils sont soumis aux trois états de la vie, c’est-à-dire qu’ils naissent, vivent et meurent comme les hommes, et ainsi mon appréciation rentre dans l’étude philosophico-religieuse de notre poème. Mais je reviens à ce que je disais, savoir que toute l’action du Râmâyana pivote sur le motif d’une parole donnée et tenue, comme aussi le personnage héroïque que ce motif fait agir, reçoit toute son illustration de la force morale qu’il déploie pour faire honneur à la promesse de son père : प्रतिक्षां पालजन् पितु[2]. Et cette résolution de sortir de la maison de son père, il l’exécute sans ostentation, avec la plus grande simplicité, montrant à ses gens, quelle que soit sa douleur intime, un visage riant : स स्मितमुखः[3]. Les instances même de Kauçalyâ, sa mère, qu’il honore comme Maghavat la déesse Aditi, पुजयामास तां देवीमदितिं मघवाविव[4], ne peuvent l’ébranler. La scène est profondément pathétique ; le héros va jusqu’à excuser l’action de Kaikéyî par le destin, daiva, qui a poussé la reine, malgré sa volonté, परिपीडार्थं. Remarquons ici que la croyance au destin est autorisée par la loi indienne[5], et que le Sânkhya compte le destin parmi les cinq agents (kartâ) qui concourent à l’accomplissement de toute œuvre[6]. Toujours est-il que Râma le dénonce, sous le nom de kritântâ ou nécessité, comme la cause de son exil. Vainement, son frère Lakshmaṇa lui insinue que l’effort de l’homme peut surmonter le destin, que le vrai courage ose lui résister, surtout

  1. Cic., de natura deorum, I, 31.
  2. Râm., II, 16, 36.
  3. Ib., 42 sq.
  4. Ib., 17, 12.
  5. Mânav., VII, 205 ; — Yajnavalkya, I, 348.
  6. Bhag.-Gîtâ, XVIII, 14.