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LE RÂMÂYAṆA.

s’en aller au milieu de forêts : मितृवचननियोग यन्त्रितीऽसौ वनगमनं[1].

C’est ici, on peut le dire, une des chevilles ouvrières du poème. Si Râma avait refusé à la parole engagée de son père le respect qu’un devoir tout moral lui dictait, notre épopée n’existerait pas. Mais il la respecta, et il avait pour cela l’exemple d’un ancien roi, l’exemple de Çiva qui, plutôt que de manquer à la promesse que jadis il avait donnée à une colombe, réfugiée dans son sein, fit manger son propre cœur à un vautour, action héroïque qui lui valut le ciel : स्वर्गमितो गतः[2].

Remarquons à cette occasion que dans la mythologie indienne, comme dans celles des Grecs, des Romains, des Germains et autres peuples, les dieux, à quelques exceptions près, sont d’anciens héros nationaux, des êtres historiques par conséquent. Le culte des ancêtres, si grandement en honneur chez tous les peuples, chez les Indiens, les Romains et les Chinois surtout, le prouve assez. Dans le Rig Véda, les pitris font la paix avec les dieux[3], et les dharmaçâstras prescrivent à leur égard les sacrifices les plus solennels. La loi de Manu dit même que les pitris sont nés, avant les dieux, pitaraḥ pûrvadevatâḥ, et que les dieux qui ont produit le monde, procèdent d’eux : jâtâḥ pîtribhyo deva°[4]. Ils ont gagné leur position céleste à la pointe de leur épée, je veux dire, par des travaux et par des vertus hors ligne. C’est donc une grande erreur d’expliquer uniquement l’origine des dieux par des procédés qui font d’eux des personnifications de phénomènes astronomiques, atmosphériques ou météorologiques. Sans doute, la peur de ces phénomènes a grandement contribué, comme le disent Pétrone[5] et Goethe[6], à faire les dieux, et c’est pourquoi le tonnerre y est pour beaucoup[7]. Or comme le tonnerre roule dans l’air, et qu’on y voyait la voix d’un être invisible, cet être lui-même fut placé dans le ciel, et voilà un fait météorologique créateur d’une divinité chez tous les peuples enfants de la nature[8].

  1. Râm., II, 15, 36.
  2. Râm., II, 11, 4.
  3. R. V., I, 119, 4 ; IV, 33, 2 ; V, 47, 1 ; VIII, 48, 13 ; X, 14, 4, et al.
  4. Mân.., III, 192, 201 et al.
  5. Primus in orbe deos fecit timor. (Petr., CVI.)
  6. Tagu. Jahreshefte, p. 299 ; t. V. éd. Baudry, 1840.
  7. Fulmina cum caderent…
  8. Nachtigal a trouvé chez les peuples de l’Afrique équatoriale, en Bagirmi et ailleurs, que la croyance