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ANNALES DU MUSÉE GUIMET.

serait insurmontable si, comme le pense A. Weber, il fallait y voir des symboles ou les prendre pour des allégories.

Cela n’est heureusement pas plus vrai pour les agents et les actions des personnages du poème que pour les personnages mêmes. Comme sous la plume d’Arioste, de Cervantes et de Shakespeare, tout respire et se meut sous le calame de Vâlmîki. Râma n’est donc point le symbole de la lune ni ne représente en son exil la saison hivernale, de même que Sîtâ n’est ni la figure symbolique du sillon ni son amour pour Râma une allégorie pour nous dire l’attraction que le sillon a pour le clair de lune, etc. etc.[1]. Ce sont là des interprétations qui font penser au mot satirique de Goethe :

Im Auslegen seid frisch und munter,
Legt ihr’s nicht aus, so legt was unter.

Mais les choses même de la magie, dont notre poème est si prodigue, veulent être prises pour des choses réelles, et je citerai comme exemple probant les deux chapitres du 1er livre, dont l’un est intitulé « le don de la collection des flèches, astragrâmapradânam, » et l’autre « la communication des moyens de destruction, jambhakapradânam. »

Râma, qui vient de tuer à la satisfaction de Viçvâmitra la terrible râkshasî Tâdakâ, reçoit du grand ascète la flèche de Brahmâ qui a porté la terreur dans les trois mondes et les a mis en pâte, pinditânâm ; puis, la flèche Daṇḍa (châtiment) qui opère la destruction des créatures et avec laquelle le futur vainqueur de Râvaṇa aura le dessus sur ses ennemis ; ensuite, la flèche de la justice, dharmâstram, semblable au temps, le grand destructeur, et aussi la flèche du temps, kâlâstram, qui soutient celui qui est aimé. Enfin, successivement, le saint précepteur remet à son élève les terribles roues de Vishnu et d’Indra ; la flèche-foudre, vajramastram, que nul ne peut affronter et qui est le meilleur des dards de Çiva ; la flèche brahmaçiraç tête de Brahmâ ; l’horrible flèche aiçikam[2] ; la flèche çaṅkara à la gueule enflammée. Prends aussi, lui dit-il, la massue incomparable qui jette la terreur parmi les ennemis et cette autre, kaumodakî à la face sanglante, लोहितामुखीं ; la flèche dharmapâçam chaîne de la justice, et kâlapâçâm corde de mort, à la rude victoire, डुर्जयं. Il lui donne

  1. Ueber das Râmâyana, l. c. p. 7.
  2. « Appartenant à ईश् ou ईश dominateur, seigneur, surnom de Çiva.