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LE RÂMÂYAṆA.

de la nature les fleuves^^1, les arbres, le soleil levant et de passer méticuleusement par toutes les cérémonies d’un culte purement physique.

On me dira que cette promiscuité de science et de religion se voit aussi dans le monde chrétien ; Hélas ! oui, elle y est même très bien portée, mais cela ne la rend pas plus recommandable. L’homme est par sa nature un animal superstitieux et les rites, ces trucs sacrés, sont faits pour l’entretenir dans cet abaissement. À qui la faute ? à la politique traditionnelle qui gouverne le monde. Ce qui est maintenu éloigné de tout contact parfois compromettant de la science, c’est la croyance qui concerne l’origine des castes et les devoirs qui incombent aux hommes en conséquence de cette origine divine mais mauvaise. Voilà un dogme plus sacré que tous les autres ; c’est même peut-être le seul dogme que le brahmanisme connaisse, et il est plus social encore que religieux^^2. Par conséquent, toujours les castes sont classées et se produisent dans le Râmàyana selon la formule légale^^3. Mais sauf ce point, notre poème est coulant sur tout le reste et ne craint pas même de rendre hommage au buddhisme à moins que ce ne soit au jaïnisme^^4. Il est certain que la pureté d’abnégation et les autres vertus du grand héros des kshatriyas, क्षत्रियाणां महारथः^^5, comme est appelé Ràma, rappellent plutôt les perfections d’un arhat, d’un vénérable du Saddharma ou d’un digambara conforme au jaïniste du Kural, que celles toujours fort sujettes à caution d’un rishi, ou de tout autre saint du brahmanisme vishnuite ou çivaïte, alors même qu’il se nomme Vaçishtha ou Viçvâfnilra. On aime ou, dans tous les cas, on admire les uns, mais la perfection des autres fait, quoi qu’on en ait, craindre voire même trembler ; on redoute le tapasa. Un accès de colère foudroyant vient si vite aux austères ascètes. On dirait que ces colères sont obligatoires en raison inverse de la vertu de ces fulgurants personnages. C’est qu’en effet, à force de se torturer, les ascètes, véritables dragons de vertu, se dessèchent le cœur et, dans leur ardeur, ils sont toujours prêts à se jeter dans les flammes ou à y jeter les autres. Mais Râma,

1 Ib., VI, 8, 26.

2 V. les preuves tout le long de la dernière moitié de mon Histoire des origines et du développement des Castes de l’Inde, publiée en 1884 par la Société académique indo-chinoise. L’Institut a décerné à cet ouvrage, comme à celui-ci, un prix Bordin.

3 Ib., II, 109, 47 ; III, 20, 30 ; VI, 36, 51.

4 En ce qu’il nous montre des femmes adonnées à la vie ascétique, ce que le brahmanisme n’autorise pas.

5 Râm., IV, 57, 8.