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LE RÂMÂYAṆA.

sacré du trishṭubh, le mètre védique par excellence. L’ensemble du récit prend ainsi une teinte sacerdotale comme une chronique rimée des croisades. Aussi serait-il impossible d’ôter du Râmâyana l’esprit religieux, qui le caractérise spécialement par l’idée toujours présente en lui de Vavatâra, de la descente réelle quoique mystique de Vishṇu en Râma, sans le dénaturer ou détruire, bien que W. Schlegel, au dire de Lassen, en jugeât autrement^^1. En éliminer l’élément essentiellement idéaliste et mystique de la religion de Vishṇu serait dépouiller le héros qu’il chante du caractère qui le grandit à la taille de la divinité au point qu’on lui donne même le titre de dieu^^2. Le procédé de Schlegel nous donnerait un Râmâyaṇa analogue à celui qu’Alwis nous a fait connaître sous la forme d’une de ces petites histoires comme en réalisent fréquemment les intrigues de cour dans les familles des princes de l’Orient^^3.

Sans doute, l’élément religieux est indissolublement lié aussi à l’action que déroule l’Iliade ; toutefois exempt comme il y est de tout mysticisme et de tout ascétisme, dispositions qui sont d’ailleurs incompatibles avec la naïveté et la franchise d’une religion où le merveilleux est tout de surface, l’esprit des personnages du Méonide n’en est que superficiellement affecté. Avec Homère, on est religieux à la manière des enfants de la nature ; avec Vâlmîki, on l’est comme un moine militant. Viçvâmitra pour s’être mis en colère croit devoir s’imposer une longue et dure pénitence, mais la terrible fureur à laquelle se livre Achille ne coûte pas un moment de repentir ni même de regret au héros au pied léger ; Sîtâ, bien qu’elle n’ait jamais quitté le chemin du devoir : सोता धर्मपथे स्थिता^^4, pousse la religion du mariage jusqu’à expier son malheureux destin par l’épreuve du feu^^5 tandis qu’Hélène qui a trahi son mari et abandonné son enfant se contente d’exprimer un stérile regret et de verser quelques larmes aussitôt séchées^^6.

Et ceci nous fait entrer de plain pied dans la morale de notre poème. On est frappé, en le lisant comme nous l’avons lu, de la grandeur et de la pureté éthiques qui s’y révèlent, et dont l’énergie est telle que,

1 V. Lassen, Indische Alterth., I, 587, note 2 ; sec. édit.

2 Râm., VI, 112, 101.

3 Alwis, le Dasarathajâtakam, 1866. — Il n’y est pas question de l’enlèvement de Sîtâ ni de la guerre de Râma contre Râvaṇa.

4 Râm., VI, 98, 13.

5 Ib. ib., 101, 35.

6 Ilias, III, 173 sqq.