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TABLEAU DU KALI YOUG OU ÂGE DE FER

Dans ce malheureux âge, les Brahmanes laissent les six actes sacramentels[1] et ne remplissent pas davantage le reste de leurs devoirs. Ils mangent sans se laver les mains et ils ne tournent pas leur pensée vers le culte de Hari. La pratique des devoirs de famille leur est étrangère et ils se livrent à la débauche avec des bayadères. Tandis qu’ils négligent le service de Krischna, ils appliquent leur esprit aux mantras[2] et aux sortilèges ; car on ne leur donne que pour céder à leurs sollicitations, comme on ne donne aux alits[3] que lorsqu’ils sont évidemment malheureux. Les Brahmanes, en effet, ne reçoivent pas dans le Kali les offrandes auxquelles ils ont droit ; on n’honore que ceux d’entre eux qui sont poètes.

Dans le Kali, on ne fait des sacrifices que de loin on loin ; on se contente de prononcer le nom de Krischna. Il est tellement reçu de mentir, qu’on admet le mensonge à l’égal de la vérité. Il y a cependant beaucoup de sâdhs[4], vrais adorateurs de Vischnou, mais personne n’en fait cas ; car, tandis qu’on a de la considération pour l’imposteur, on n’a que du mépris pour les gens vertueux, qui d’ailleurs, dans le Kali, sont des Soudras.

Dans cet âge de décadence, on s’attache à celui qui possède des richesses. Tout le monde est désireux d’en amasser, et celui qui ne veut pas donner s’expose à périr. On ne traite avec bienveillance que celui qu’on aime beaucoup.

On reconnaît les rois du Kali youg à ce qu’ils parcourent astucieusement leur royaume. Ils prennent pour s’enrichir tous les moyens, qu’ils soient honnêtes ou injustes ; ils ne s’occupent jour et nuit qu’à satisfaire leur cupidité.

Ils devraient savoir que l’amour de Hari n’impose aucune peine à l’esprit. Quand on le possède, on ne désire plus les biens du monde. Mais dans le Kali tout le monde est avide ; on agit constamment avec ruse. Les enfants trompent leurs pères ; ils déploient à cet effet la plus grande adresse. On prend volontiers, mais on n’aime pas à donner ; on pèche sans crainte contre les dieux.

  1. On les nomme sanskâr. Ce sont des rites essentiels de purification pour les trois premières castes. Ils commencent à la naissance et finissent au mariage. Dans les lois de Manou (livre L, 26, p. 2 de la traduction de Loiseleur-Deslongchamps), il n’est question que de quatre ; mais H. H. Wilson dans son dictionnaire sanscrit en compte dix.
  2. Ce mot signifie proprement « des prières extraites des Védas et employées comme charmes dans la fascination. »
  3. « Faquir errant. »
  4. « Pur (puritam). »