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LE PESSIMISME BRAHMANIQUE

les choses comme aussi vacillantes que la flamme de la lampe agitée par l’air que mettent en mouvement les ailes du papillon voltig-eant alentour, sont partis pour la forêt.

« Agréables sont les rayons de la lune, agréables au sein des forêts les clairières tapissées de gazon, agréable le plaisir qu’on trouve dans la fréquentation des sages, agréables les récits des poètes, agréable le visage de la bien -aimée sur lequel roule une larme que le dépit a fait naître. Mais adieu l’agrément de toutes ces belles choses si l’on vient à songer combien elles sont fugitives !

« A quoi bon les Védas, les livres de lois, la lecture des livres mythologiques, les traités où les sciences sont longuement développées, l’application aux œuvres pieuses, toutes choses qui donnent pour fruit une place dans une cabane des villages du ciel ? A l’exception du feu qui, à la fin des âges, doit anéantir le pesant appareil du malheur inhérent au monde matériel, et procurer à notre âme l’entrée au lieu de félicité (l’union avec Brahma), tout n’est que trafic.

« Éloigne- toi, ô mon cœur, de ce gouffre au fond duquel s’agitent avec tant de fatigue ceux qui poursuivent les objets des sens ; prends la route du salut, sur laquelle toutes les peines s’apaisent en un instant j réunis-toi à l’âme suprême et quitte ta propre voie, qui est instable comme l’onde ; ne mets plus ton plaisir dans les choses périssables ; sois-moi enfin favorable !

« La vie de l’homme est limitée à cent ans : la nuit en prend la moitié ; la moitié de l’autre moitié est absorbée par l’enfance et la vieillesse ; le reste se passe au milieu des maladies, des séparations et des adversités qui l’accompagnent, à servir autrui et à vaquer à d’autres occupations analogues. Où trouver le bonheur dans une existence qui ressemble aux bulles que produit dans l’eau l’agitation des flots ?

« La vie diminue chaque jour ; à mesure que le soleil se lève et se couche, dans le tracas des affaires, sous le poids de mille soucis, on ne se rend pas compte du temps qui s’écoule ; on voit sans frémir les hommes qui naissent, vieillissent, souffrent et meurent : ce monde a bu la liqueur de l’imprévoyance et de l’aveuglement, et il s’est enivré.

« Je tiens pour indépendants au suprême degré ceux qui ont pour couche un lit de cailloux, pour demeure l’antre d’une montagne, pour vêtements