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LE PESSIMISME BRAHMANIQUE

Naciketas répond :

« Ce n’est pas dans la richesse que l’homme doit chercher son plaisir... Le mortel soumis à la vieillesse, qui sait que les immortels ne vieillissent pas, saurait-il se féliciter de vivre très longtemps ? Donne-nous, ô Mort, des enseignements qui mettent fin aux doutes où l’on est sur le sort dos trépassés et sur cette science de l’âme qui concerne le grand objet de l’autre monde. C’est ce souhait mystérieux, et non pas un autre, que forme Naciketas. »

La Mort finit par céder aux désirs de son interlocuteur et le félicite de son choix en des termes qui tendent à confirmer le mépris de Naciketas pour les choses temporelles.

« Ô Naciketas, lui dit-elle, tu as rejeté après réflexion l’agréable et ce qui paraît agréable ; tu n’es pas au pouvoir de cette propension vers les richesses à laquelle quantité d’hommes s’abandonnent.

« Le moyen d’obtenir l’autre monde ne brille pas pour l’homme faible, dépourvu de prudence, égaré par la folie des richesses. Celui qui se dit : — « Ce monde seul existe ; il n’en est pas d’autre » — retombe indéfiniment en mon pouvoir (c’est-à-dire naît et renaît pour mourir, conformément aux vicissitudes de la transmigration).

Dans le célèbre recueil des lois de Manou, qui peut remonter sous sa rédaction actuelle au iie siècle avant Jésus-Christ, mais qui reflète un état de la société beaucoup plus ancien, tout un livre, le sixième, est consacré à décrire les devoirs des yatis, c’est-à-dire des brâhmanes, qui, arrivés à une certaine période de leur existence, quittent leur femme et leurs enfants, renoncent au monde, cessent d’accomplir les sacrifices réguliers et s’en vont dans la forêt pratiquer la vie ascétique. Cette résolution leur est inspirée par le dégoût qu’ils éprouvent pour les choses temporelles, en raison de leur caractère périssable ; par le ferme propos qu’ils ont formé en conséquence de ne plus pratiquer le sacrifice brahmanique, qui, comme nous l’avons vu plus haut, n’a d’effets heureux pour l’avenir qu’au point de vue de la transmigration à laquelle le yati veut précisément échapper , et par les efforts qu’ils sont décidés à faire pour arriver de prime abord à la délivrance et à l’union éternelle avec l’âme suprême.

Quelques passages que je vais emprunter à ce même livre des Lois de