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la théosophie brahmanique

est en puissance, à l’état subtil[1]. Non manifeste ou subtil, d’une part ; manifesté ou perceptible à nos sens grossiers, d’autre part, ce sont là deux états d’une seule et même chose. Il n’y a pas de différence essentielle entre ce qui n’est pas encore et ce qui est, entre ce qui est et ce qui, ayant cessé d’être manifesté, a fait retour à sa cause. Si ce qui est n’avait pas toujours été, il ne serait pas. Ce qui est réel ne peut cesser d’être. « Ne naît que ce qui est déjà réel en sa forme subtile » (Vijñ., p. 159)[2].

L’identité essentielle de l’état subtil et de l’état manifesté est un postulat qui s’imposait à quiconque voulait combiner la double notion de l’éternité de l’être, — et comment un Hindou aurait-il pu concevoir l’être autrement qu’éternel ? — et de la réalité du monde des phénomènes, — car pour des penseurs élevés dans les traditions brahmaniques, il ne peut y avoir d’autre réalité que l’être. On remarquera aussi que le réalisme du Sānkhya aboutit à affirmer la réalité des individus. Que ce soit à l’état futur, présent ou passé, c’est toujours la même monade qui existe, et le monde objectif est un ensemble infini d’individus qui passent de la non manifestation à la manifestation, pour revenir ensuite à la non-manifestation.

  1. Dans un passage fameux où toute une série de choses et de faits sont ramenés à leur cause invisible (6, 8-16 la Chāndogya-Upanisad termine chacun des développements pris pour exemples par le refrain : « Cette subtilité (aṇiman) qui est l’essence de l’univers, c’est là le réel. » C’était dire déjà qu’une chose est à l’état subtil d’une réalité supérieure ; une fois qu’elle est manifestée, sa réalité est si fugitive qu’elle en est insaisissable. Le Sānkhya est du même avis : « Les cognitions isolées qui, par leur enchaînement, produisent la série des états de conscience, disparaissent à leur troisième moment ; ce qu’il faut supprimer, c’est la prédisposition (vāsanā), c’est-à-dire les faits de conscience à l’état futur » (Vijñ., p. 27). — L’ancienne littérature brahmanique enseignait aussi que la nature visible est peu de chose en comparaison de la nature invisible. La nature réalisée, toute majestueuse qu’elle est, ne forme que le quart de l’Être universel, le puruṣa (Rc. X, 90, 3).
  2. Si la délivrance de l’âme est possible, c’est que l’âme est libre (S. S. I, 11). — Si, comme le prétendent les Védantins, l’ignorance était une chose (vastu), elle ne pourrait être détruite, et la délivrance serait impossible (Anir. ad S. S. I, 21).