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des ordres brâhmaniques. C’est ainsi, suivant la fine et judicieuse remarque de M. Jacobi[1], que le Jaïnisme et le Bouddhisme ne doivent pas être regardés comme la manifestation d’une réforme soudaine, mais comme le résultat d’un mouvement religieux lent et continu.

À vrai dire, en effet, c’est par réaction, non contre le Brâhmanisme, mais contre l’exclusivisme des Brâhmanes, que se formèrent les nouveaux ordres monastiques. S’affranchir d’une façon absolue de la religion brahmanique, c’était s’exposer à l’insuccès certain. Pendant cette période d’intense activité religieuse dont l’Inde septentrionale fut le théâtre au vie siècle avant l’ère chrétienne, bien des communautés prirent naissance. Les documents bouddhiques en particulier en établissent des listes parfois considérables. La plupart succombèrent. Le Bouddhisme lui-même fut obligé de quitter l’Inde et de s’implanter dans les contrées environnantes. Seul le Jaïnisme parvint à s’assurer une destinée solide et de plus en plus prospère. C’est que seul précisément il fut habile à se rendre compte des conditions d’existence qui lui étaient faites.

L’Inde n’a jamais possédé qu’une religion : le Brâhmanisme. La vérité de cette proposition est manifeste pour l’époque qui nous occupe plus encore que pour toute autre période. Le Jaïnisme ne s’y méprit pas. Aux spéculations philosophiques de l’Inde il emprunta leurs deux grandes idées générales, comme au Brâhmanisme ses deux dogmes fondamentaux : la Transmigration et la Délivrance. Ainsi offrait-il à la foule la doctrine qui lui était familière depuis déjà bien des siècles. Cette doctrine, il la rendit plus accessible en la dépouillant de ce que les Brâhmanes y avaient introduit d’étroit et de formel. Tenir pour nulle l’autorité des Védas et ne pas reconnaître de castes distinctes, rien d’autre,

  1. H. Jacobi, Jaina Sûtras translated, Part I (Sacred Books of the East, vol. XXII, Oxford. 1884), p. xxxii.