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du fond de sa bergère à oreilles, à la jeune fille assise à ses pieds, ouvrant ses yeux noirs immenses devant les scènes évoquées par ces récits ultimes, ces confidences du bord de la tombe ? Inoubliable fut pour Aurore cette année 1820-1821, la dernière et la seule de la vie de sa grand’mère où elle dévora ses livres comme elle dévora ses souvenirs parlés, et dont elle retrouva la trace, après une mort qui la désespéra, dans les papiers écrits d’une plume aussi fine qu’était la narration orale de la disparue. Et. les lisant plus tard parmi les larmes, elle l’entendait encore.

Elle l’entendait lui raconter comment Dupin de Francueil, épris de Jean-Jacques, avait réussi à l’apprivoiser. L’opulent fermier général était artiste et littérateur à ses heures. Et son admiration pour l’Alceste genevois avait tant d’élégante simplicité, qu’il fut un des très rares mondains admis dans sa familiarité. sinon même dans son amitié. Dupin de Francueil n’avait-il pas écrit les récitatifs du Devin du village ? N’est-ce pas lui qui prêta à Jean Jacques « cette vieille bible hollandaise (sans doute celle d’Ostervald). sur laquelle il composa le Lévite d’Ephraïm » ? George Sand, qui rapporte ce trait, avec d’autres, dans ce Journal intime que sa petite-fille a récemment publié, relève, dans les notes de sa grand’mère. le seul mot piquant de Rousseau, qui n’avait d’ordinaire que l’esprit de l’escalier. Francueil lui dit un jour : « Allons aux Français, voulez-vous ? — Allons, répondit Rousseau, cela nous fera toujours bailler une heure ou deux ». Et encore, ajoute la narratrice. la réplique n’est-elle pas énormément spirituelle[1]. Mais combien plus évocatrice

  1. Journal intime, p. 180 (et les savantes, sur l’entrevue Rousseau-Francueil).