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III

Des échanges réciproques s’opèrent à tous les degrés de civilisation entre les conditions géographiques et les faits sociaux. Comme tout est action et réaction, dans le monde moral aussi bien que dans le monde physique, il y a des cas où la répercussion de causes sociales agit à son tour en maîtresse sur la géographie. Ce n’est pas alors la géographie du pays qui se reflète dans son régime social, mais plutôt l’inverse. Il manquerait quelque chose d’essentiel à cet exposé, si je n’indiquais au moins sommairement cet aspect des faits, qui est pour ainsi dire la contre-épreuve de ce qui précède.

Qu’on se rappelle quelle fut, du xvie au xviiie siècle, l’extension aux Indes Occidentales et au Sud des futurs États-Unis de ce qu’on appelait les plantations. Des contrées qui auraient pu nourrir de nombreuses populations se trouvaient soustraites à leur fonction naturelle. Leur fertilité était confisquée au profit de tels produits spéciaux auxquels le commerce donnait un grand prix. Et comme ce n’est pas impunément qu’on substitue des conditions factices à celles de la nature, ce régime engendra entre autres conséquences la traite des noirs, c’est-à-dire une des formes d’esclavage les plus odieuses et les plus cruelles. L’histoire de ces cultures de plantations a fini souvent par de sanglants épilogues, aux États-Unis comme à Saint-Domingue.

Les mêmes causes, heureusement dépouillées d’ailleurs de ces conséquences extrêmes, continuent à agir présentement. On sait que l’État de Sao-Paolo, au Brésil, est devenu le principal centre de production du café. Les terres rouges des Campos, sol fertile qui favoriserait une riche agriculture nourricière, sont à peu près exclusivement vouées à ce produit. Toutes les conditions sociales sont subordonnées a la nécessité de produire et d’élaborer d’une façon lucrative la graine réclamée par la consommation. C’est à grand renfort d’outillage et de personnel qu’on résout le problème. La fazenda est à la fois ferme et usine : une ferme où vit souvent plus d’un millier de colonistes salariés, pour la plupart Italiens, que de hauts gages attirent pour quelques années, mais auxquels ils ne sauraient donner accès à la propriété. Le taux de cherté extraordinaire du crédit et de la subsistance rendrait au surplus l’existence impossible à de petits propriétaires. Pour tenir tête à ces conditions, il faut un maniement de capitaux qui n’appartient qu’à quelques principaux fazenderos. Le café, produit en grandes masses, manipulé sur place, transporté, pour diminuer les frais, vers le point le moins éloigné, règle l’existence tout entière des populations. Ce port de Santos, vers lequel il est acheminé,