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ANNALES DE GÉOGRAPHIE

I. — Les langues et les groupements humains

Les langues, indices d’anciennes civilisations. — Dans les langues actuelles de l’Europe, on remarque des mots qui ne s’expliquent par aucune langue connue. Ce sont des témoins de langues disparues, nous révélant ainsi d’antiques civilisations, d’antiques groupements d’hommes, qu’aucun autre indice ne nous indiquerait. Les noms de Seine, de Loire et de Garonne appartiennent à une langue autrefois parlée dans le pays avant l’introduction des langues indo-européennes. Il y a même, dans l’Ouest des Pyrénées, un groupe d’hommes qui parlent le basque, langue qui, par sa structure, diffère profondément des langues indo-européennes et qui semble apparentée à la langue des anciens Ibères. « La grammaire basque est compliquée, et on l’a souvent comparée à celle des anciennes langues américaines, mais sans que ceci implique un commencement de preuve de parenté[1]. »

Les langues actuellement parlées en Europe appartiennent, presque toutes, à un même groupe linguistique ; elles proviennent des transformations d’une même langue, dite indo-européenne, inconnue parce qu’il n’en reste aucune trace écrite, parlée à l’époque préhistorique depuis l’Atlantique jusqu’à l’Inde et depuis la Scandinavie jusqu’à la Méditerranée. Nous savons qu’un idiome de ce groupe était parlé en Cappadoce vers le milieu du second millénaire avant Jésus-Christ, et que la nation celtique, parlant elle aussi une langue indo-européenne, dominait dans l’Europe occidentale vers le milieu du premier millénaire avant Jésus-Christ. Ces faits permettent d’affirmer l’existence d’une antique civilisation apportée en Asie antérieure et en Europe par des populations dont nous ne savons rien, si ce n’est qu’elles parlaient une même langue. « Il s’est agi probablement de chefs et d’aventuriers qui sont allés organiser à leur manière toute l’Europe et une partie de l’Asie… Il n’y a pas lieu de croire que, à l’époque préhistorique où elles avaient une langue commune, les populations de langue indo-européenne aient eu un gouvernement commun. L’ancienne unité linguistique indo-européenne reposait sur une unité de civilisation, non sur une unité politique[2]. »

La langue peut être considérée comme le critérium d’une communauté de civilisation, comme le principe générateur de certains groupements humains. Il n’en est pas de même de la race, notion qui se définit par des traits physiques, mais compliquée et embrouillée par la multitude des croisements au cours des siècles. On ne connaît pas de race pure à l’époque actuelle. On ne peut pas établir un lien nécessaire

  1. A. Meillet, p. 9.
  2. A. Meillet, p. 10-16, 60, 84.