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ANNALES DE GÉOGRAPHIE

(1582-1779), les savants se mirent en quête de ce continent disparu, que les uns plaçaient aux bouches occidentales de la Méditerranée, au voisinage du Portugal ou du Maroc, d’autres, dans les eaux lointaines de l’Atlantique Nord, Ouest ou Sud, et d’autres encore dans les parages des Amériques ou dans les glaces du pôle. Puis la critique du xixe siècle fit son œuvre :


On peut faire grâce au lecteur des arguments et des rapprochements de toute sorte, parfois d’une subtilité incroyable, par lesquels, les auteurs du xvie au xviiie siècle ont tenté de justifier les inductions les plus téméraires. On trouvera au premier volume des Études sur le Timée d’Henri Martin une analyse à peu près complète de toute la littérature antérieure à 1840. On a cherché l’Atlantide un peu partout, même dans la Méditerranée orientale et jusque dans l’Océan Indien. La critique moderne s’est peu à peu désintéressée de ce problème insoluble.


Ainsi parlait en 1925 le dernier éditeur et traducteur du Timée et du Critias, Mr A. Rivaud (p. 29). Les conclusions de Mr St. Gsell (Histoire ancienne de l’Afrique du Nord, I, p. 327-329) semblaient alors admises de tous : « Il est impossible aux historiens de tenir le moindre compte des assertions de Platon »… Brusquement, l’Atlantide[1] est remontée du fond des mers et des légendes dans les préoccupations de nos gens de lettres et de sciences ; nous assistons, depuis cinq ans, au grand combat pour la restauration de cette grandeur détrônée : livres, revues et même journaux quotidiens entrent en jeu ; une Société des Études atlantéennes s’est fondée à Paris en juin 1926 ; les Petermanns Mitteilungen de 1927 ont consacré une dizaine d’articles à cette résurrection. Nos contemporains reprennent la lecture du Timée[2]. Mais nos savants y cherchent moins la pensée et l’ensemble de la doctrine platonicienne que des témoignages, — pensent-ils — et des arguments favorables à leurs propres théories. Des 228 que comporte l’édition de Mr A. Rivaud[3], certains ne lisent que les sept ou huit pages (130-137) qui, derrière cette grande rêverie métaphysique, tendent comme toile de fond une géographie et une préhistoire légendaires.

  1. Sur les débuts de ce renouveau, voir les articles de Mr P. Couissin, dans le Mercure de France, février-juillet 1927 ; la « Bibliographie de l’Atlantide », publiée en 1927 par MM. J. Gattefossé et A. Roux, ne contient pas moins de 1 700 références.
  2. Il ne saurait être question de discuter ou même d’exposer ici toutes les explications qui ont été données du texte platonicien ni toutes les hypothèses géologiques et géographiques auxquelles il a donné naissance ; on peut dire que chaque jour, depuis six ans, en a vu et en voit naître de nouvelles. Je ne ferai qu’indiquer la solution que je propose et les principaux arguments qui me décident.
  3. Platon, t. X : Timée et Critias. Les Belles Lettres, 95, boulevard Raspail, Paris. C’est à cette édition que je renvoie une fois pour toutes le lecteur. Il s’apercevra des emprunts que j’ai faits à la belle Notice, tant du Timée que du Critias, et des modifications que j’ai dû faire parfois à la traduction, pour en rendre plus précisément tous les termes.