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XLIX

Au mont Atlow

Paris n’amena que déceptions aux deux chercheurs.

Le vieux notaire avoua, avec grande peine, que sa « cliente » avait passé chez lui la semaine précédente, qu’elle lui avait paru plus triste que jamais et s’en était allée en déclarant qu’elle quittait la France pour quelque temps et retournerait ensuite aux Pyrénées. Le notaire avait cru comprendre qu’elle allait en Autriche, où elle voulait se rendre afin de prier sur une tombe très chère et y chercher l’inspiration…

Barbentan n’avait pas paru chez lui. Sa servante, que Véga alla visiter, lui apprit que M. le baron voyageait, et n’annonçait pas son retour.

Alors que faire, en attendant le retour de Mme Angela à Val-Salut.

Ils convinrent de se rendre dans le Caucase, au mont Atlow, à la recherche des vieux bûcherons…

Le voyage était long, il fallait traverser la Russie, arriver jusqu’au bord de la mer Caspienne et gagner la station thermale de Piatigorsch.

Mais les deux voyageurs s’entendaient si bien, trouvaient si délicieux ce qu’ils voyaient ensemble que tout les charmait.

Quand ils descendirent le Volga, le grand fleuve vivant, source de tant de richesses, ils s’amusèrent infiniment. ils en oubliaient leur but.

Les villes russes, les Tatars, Kasan, les légendes, le mouvement du navire où toutes les races se mêlaient, provoquaient leur intérêt. La nature primesautière, gaie, si intelligente de Véga faisait d’elle une charmante compagne que Daniel aimait de plus en plus, voyant plus de charmes en elle.

De son côté, la jeune fille appréciait le sage et doux compagnon dont les actes révélaient la noblesse d’âme, dont l’allure offrait une distinction suprême et toutes les pensées une élévation désintéressée.

Elle l’appréciait et elle l’aimait, mais ne s’étonnait en rien de ses allures, comme si pour elle aussi un atavisme ancestral eût existé.

Elle savait des usages jamais appris, elle ne gardait aucune vulgarité d’origine, toujours digne, malgré une extrême bonté, accrue sans cesse envers les serviteurs.

— C’est peut-être mes frères, pensait-elle.

Elle fouillait ses souvenirs, recherchant dans les sites le « déjà vu » et des fois elle y parvenait :

— Nous avons passé ici, expliquait-elle. Cette tour, je l’ai vue, cette gare, je la reconnais.

Souvent Daniel l’arrêtait, cachait ses yeux : « Véga, qu’y a-t-il à ce tournant ? »

Elle répondait juste ou faux et ils riaient…

Oh ! le délicieux voyage !

À Piatigorsch, ils s’informèrent. Où trouveraient-ils des chevaux et un guide interprète ? Le mont Atlow est tout ce qu’il y a de plus sauvage. Les baigneurs de la station n’y vont jamais.

Cependant, ils purent louer des chevaux et le guide se présenta.

C’était un garçon leste, assimilable comme tous les Slaves, il parlait bien le français et le patois caucasien. Il se nommait Sacha.

— C’est peut-être mon frère ! pensait Véga.

— Le pays est-il sûr ? interrogea Daniel.

— À peu près, Monsieur, nous avons d’ailleurs des armes.

La bravoure des voyageurs était à l’abri d’une alerte ; au contraire, ils s’amusaient de cette pointe de danger. Le matin de leur départ, par un temps merveilleux, ils montèrent à cheval. Le guide, en avant, avait une sacoche contenant des provisions. Chacun d’eux conservait en poche un petit revolver.

Véga, en robe courte, n’avait pas jugé à propos de revêtir la tenue d’amazone ; elle montait à califourchon, comme c’est admis en ce pays et se tenait ainsi qu’une écuyère consommée.

— Si seulement je savais où nous allons ? observa Daniel.

— Probablement à une citadelle où nous rencontrerons Olga…

— Vous savez le nom du château ?

— Je ne sais que celui du mont, mais il n’y a pas tant de châteaux dans ce pays. Sacha doit le connaître, puisque lorsque je lui ai dit de nous conduire à la forteresse, il n’a pas hésité. Que voulez-vous, mon ami, je suis mon intuition.

Ils montaient presque à pic sous un ardent soleil, les chevaux avaient le pied sûr ; au loin on ne voyait qu’un bois.

Cela dura ainsi jusque vers midi, les ascensionnistes mouraient de soif et de faim. Daniel appela le guide.

— Sacha, trouvez donc un abri, nous pourrions déjeuner.

— Allons jusqu’au bouquet de mélèzes, Monsieur, il y aura un peu d’herbe pour les chevaux.

— Et pour nous ?

— Les provisions que j’ai là. Il n’y a pas une maison sur cette route, mais j’ai des tartines de caviar et un poulet rôti, du vin et des pêches.

— Ah ! l’énumération fait plaisir à entendre, acquiesça Véga.

Mais tout de suite, elle eut un remords. Depuis qu’elle suivait le lacet de la montagne, elle songeait à la bouillie d’écorce de son enfance. Son sourire s’éteignit.

Les pierres roulaient sous les pas des chevaux, ils montaient avec peine. Une fois à l’ombre, ils s’arrêtèrent d’eux-mêmes.

Daniel vint à sa jeune amie pour l’aider à descendre, mais elle avait glissé à terre aussi vite que lui.

— La folle équipée, remarqua-t-il, en la voyant toute rouge.

— Il n’y a que ce qui est fou pour réussir, Daniel, parce que ce qui est fou ne vient pas de notre raisonnement, mais de notre instinct ou de notre subconscience.

— Oh ! pas de philosophie, déjeunons, comme ce sera meilleur !

Ils s’assirent avec volupté sur un peu d’herbe rase. Le guide dessellait les chevaux, les laissait libres, il les appelait par leurs noms et leur donnait des croûtons de pain qu’il tirait d’un sac de toile suspendu à sa ceinture.

— Cet homme aime les bêtes, donc il est bon, remarqua Véga.

— Sacha, venez ici et songez à nous à présent.

— Voici, Madame, ouvrez la valise, le maître d’hôtel l’a préparée devant moi, rien ne manque.

— Vous connaissez le pays, Sacha, n’y a-t-il pas au-dessus de la forteresse, un village de bûcherons ?

— Il n’y a pas de village, deux ou trois cabanes de charbonniers.

— On peut y monter ?

— Oui, mais nous n’y serions pas avant la nuit. Et il n’y a rien à voir que de la misère.