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— Vous étiez à l’île de la Stella-Negra.

— Chez les Compagnons de l’Étoile Noire ?

— Absolument.

— J’étais loin de m’en douter. Si je l’avais su, en me nommant j’aurais été admis avec moins de défiance. Mais on me tenait dans un pavillon isolé qui avait vue sur la mer et qu’une haie haute, épaisse, énorme, défendait du côté de l’intérieur. Au bout de deux jours, j’étais en état de partir, je remerciai mes hôtes et les priai de m’indiquer un moyen de regagner la France. L’un d’eux, un grave vieillard…

— Aour-Ruoa !

— Ah ! si je l’avais donc su ! quel regret ! Il me dit : « Vous allez monter dans un de nos bateaux et l’on vous conduira à la côte Atlantique française. Seulement, vous allez jurer que jamais à personne, vous ne révélerez ce que vous avez pu voir ici.

— Je n’ai rien vu, objectai-je, que l’eau et le ciel.

— Ne m’interrompez pas. On vous bandera les yeux, le voyage sera court. Ne faites aucune résistance. Vous venez de me remercier de vous avoir sauvé la vie, montrez votre reconnaissance par votre silence. Un manquement de parole vous coûterait d’ailleurs fort cher…

— Vos menaces ne peuvent rien ajouter à la force de mon serment, je vous promets, cela suffit.

— Et pourtant, Daniel, interrompit Véga en riant, vous me contez le mystère…

— Puisque vous le savez, je continue le roman… car c’est bien un roman que ma vie dont les aventures formeraient des volumes… Le vieillard ajoutait, pratique :

— Vous n’avez ni habits, ni argent, nous vous donnerons l’un et l’autre.

— Mais où pourrais-je m’acquitter de ma dette ?

— Envers les pauvres.

Il m’abandonna sur ces mots. Un homme qui remplissait les fonctions de valet, avec une dignité d’égal vis-à-vis de moi, m’aida à me vêtir d’un costume de parfaite coupe et de goût irréprochable. Il me montra dans la poche intérieure de côté un porte-feuille. Je l’ouvris. Il contenait cinq billets de cent francs. J’en rendis quatre tout de suite. Où étais-je et quels étaient ces gens si délicats, si grands seigneurs ?

Je ne pouvais le deviner, maintenant je le comprends. On me banda les yeux avec soin, je me laissai faire sans protester et je serrai la main de ceux qui m’avaient si bien soigné.

Je montai à bord de je ne sais quel bateau, je m’aperçus seulement qu’il marchait très vite, car la brise cinglait, je le crus électric, je n’entendais pas le battement des voiles, ni le bruit d’une machine à vapeur.

Rien ne pouvait apprécier la durée du temps, le service du bord était silencieux. Une plus grande fraîcheur m’avertit du coucher du soleil, un homme me mit en main quelques sandwichs et m’offrit une coupe de vin du Midi, chaud et sucré. Je mangeais avec plaisir, il devait être tard. Assez longtemps après, j’entendis le clapotement de l’eau et un sensible ralentissement de marche. On vint me prendre par la main, nous étions en panne :

— Tenez-vous bien, dit une voix d’homme, voici le premier échelon de l’échelle de corde, vous allez descendre dans un canot qui vous mènera à la côte. Maintenant, une dernière recommandation : quand vous serez arrivé à la côte, quand vous aurez pris pied sur le sol de France, ne retirez pas tout de suite votre bandeau, jurez d’attendre une demi-heure.

— Comment saurai-je l’heure ?

— Il y a dans votre poche de gilet une montre à répétition.

— Mais s’il y a des passants, ils me remarqueront.

— Il n’y en aura pas.

— Bien. Je vous promets ce que vous voulez.

Quelques minutes plus tard, on m’aida à quitter la barque.

— Adieu et bonne chance ! dit la même voix.

Encore une fois j’étais dans l’inconnu. Étais-je prisonnier ? Étais-je libre ? Nul bruit, sauf celui de l’eau, ne venait à mes oreilles. Cette demi-heure me sembla interminable, mais je tins parole jusqu’au bout.

Quand je retirai le bandeau, je me vis seul dans la nuit, devant moi des rochers, derrière moi la mer, à droite une fantastique falaise s’estompait sous la lune ; à gauche, à quelques centaines de mètres, des lumières se voyaient. Un cordon de becs de gaz, me semblait-il. J’allai vers ces lumières.

C’était un quai bordé de cafés, d’hôtels, un aspect de station balnéaire. Laquelle ? Je ne la connaissais pas.

Demander où j’étais à un passant m’aurait fait remarquer. Dans ma situation, je n’y tenais nullement. J’entrai dans un café. On y parlait espagnol et français. Il était onze heures du soir. Je demandai le journal de la localité, espérant y voir le nom de la ville.

Il s’appelait l’Écho de la Plage, racontait de petits potins et était formé ensuite de découpures de journaux parisiens. Ses bureaux étaient situés rue de la mer…

Comme cela me renseignait !

Je sortis et me mis à la recherche d’un gîte. Hôtel de la Plage, Hôtel de France, et d’Espagne, Hôtel des Voyageurs, etc… pas un ne portait donc le nom de sa ville ? J’entrai à l’Hôtel de Paris.

Je n’avais pas l’air d’un honnête voyageur…, n’ayant pas même une valise. Cependant, ma mine dut inspirer confiance et on me donna une chambre confortable, puis le garçon qui m’avait installé revint avec son livre d’inscriptions. Devais-je me cacher ? Je ne le pensais pas, j’écrivis très bravement, comte de San Remo, de Paris.

Je fus considéré du coup !

Je m’endormis sans savoir où je passais ma nuit. Depuis mon départ de l’auberge des Quatre-Routes, je vivais sans savoir où j’étais. Drôle d’impression ! Au matin, je m’éveillai très calme, ma situation me donnait même une légère gaieté. Je descendis déjeuner, puis je réglai ma note et m’en allai en quête de la gare… s’il y en avait une.

Le pays était délicieux, le peuple gai, vif, c’était le Midi, le costume basque, le langage sonore, m’indiquaient bien les Pyrénées, seulement quelle ville ?

La gare s’ouvrait devant moi, au bout d’une belle avenue et enfin je pus lire… Saint-Jean de-Luz ! Bon, j’étais peu éloigné de chez moi. J’allai prendre un billet et le premier train pour Tarbes et Bagnères-de-Bigorre. Je pensais à vous, Véga, je ne savais pas quelle déception m’attendait à Val-Salut ! Mon oiselle serait envolée !