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— Justement, Wilhem. Vous avez deviné.

Quand Madame fut revenue à elle, je lui expliquai ceci ; mais elle me crut un peu fou et me dit de retourner au château avec l’auto et Léonard. Quant à elle, aussitôt remise de cette secousse et en état de voyager, elle irait à Paris à la recherche d’un parent dont elle espérait quelques éclaircissements.

— Elle vous a dit le nom de ce parent ?

— Je crois que c’est le baron de Barbentan.

— C’est cela. Pauvre femme ! Avez-vous parlé à M. le Comte de Mme Deblois ?

— Non, M. le Comte ne s’occupait que de Mademoiselle, il ne causait à personne, il était figé dans sa peine.

— Quand est-il revenu vers vous ?

— Il y a environ trois semaines. Il est arrivé un soir, à pied, de la gare de Bagnères. Il a dit : « Avez-vous des nouvelles de Mlle Véga ? » Sur notre réponse négative, il est tombé dans une mélancolie noire… dont il n’est sorti que lors de l’arrivée du câblogramme. Oh ! alors ça été une telle joie que nous pensions qu’il allait en perdre la raison. Il a fallu partir tout de suite pour Biarritz.

Nous sommes venus à une allure folle et depuis notre arrivée M. le Comte ne quittait plus le port, j’étais obligé de l’emmener presque de force pour manger et je montais la garde à sa place pendant ses courts repas. C’est bien heureux que Mlle Véga soit revenue, car M. le Comte serait mort à coup sûr.

— Ce qu’il faut maintenant, Wilhem, c’est retrouver Mme Deblois. Voit-on toujours des lueurs dans la chambre hantée à Val-Salut ?

— Non, Mademoiselle. Depuis l’incendie, nous n’avons rien aperçu.

— Allez maintenant, Wilhem, je descends dans un instant.

L’honnête valet sortit.

Véga comprenait bien la situation. Mme Angela avait voulu essayer d’attendrir son neveu Barbentan. Elle avait dû aller le rejoindre à Paris ou ailleurs, lui offrir de l’or… l’obliger à lui révéler la retraite de son fils. Pauvre mère !

Mais Daniel frappait à la porte impatient.

— Véga chérie ! le dîner est servi. Venez.


XLVI

L’aventure de Daniel

Ils s’étaient fait servir dans un petit salon donnant sur la mer par une grande baie. On était en juillet, l’air était délicieux, rafraîchi par la brise du large.

En face l’un de l’autre, ils éprouvaient une joie immense à se regarder par-dessus les roses et les œillets qui ornaient le milieu de leur petite table :

— Dites, Daniel, dites d’abord, moi j’ai fait la plus folle des équipées, je me suis embarquée sur une fausse voie, j’ai découvert un autre prince, j’ai été me heurter à un autre principe… Leurrée par mes prophètes, j’ai été me perdre en l’Océan Indien.

— Quels prophètes ?

— Oh ! des sages ! des hommes étonnants ! Ils m’ont dit ce qu’ils devaient me dire, une vérité déduite des choses que je leur avais transmises, c’est moi seule qui m’abusai… Enfin, j’ai fait une découverte inouïe ! la terre de l’avenir. Celle qui remplacera après-demain l’ancien continent. Faites-moi grâce de mon épopée. La vôtre, mon ami, est autrement passionnante. Pauvre Daniel, après lequel je courais si anxieuse et dont je m’éloignais follement ! Reprenez où nous en étions : à l’auberge des Quatre-Routes. Oh ! quand je vis fuir l’auto et quand je compris qu’on vous enlevait… Quel arrachement ! Racontez-moi ce qu’il advint depuis ce moment.

— Moi aussi, quand je compris que j’étais joué j’éprouvai une violente colère. Des volets de bois à ressort cachaient les fenêtres de l’auto. Sur le devant, un épais rideau, mis en dehors, m’empêchait de voir où j’allais. C’était vertigineux. J’essayais de briser portes et fenêtres, en vain, j’usai mes forces sans succès.

Bientôt, je sentis une somnolence m’envahir. Dans cette cage étroite, un tuyau de caoutchouc envoyait un gaz narcotique, je le sentais, je le voyais fuser, je ne pouvais le fuir…

Que dura cet état ? Je l’ignore, sans doute, il dura longtemps.

— Vous pouviez être asphyxié.

— Je le fus presque. Quand je revins à moi, j’étais haletant devant une fenêtre ouverte, un homme me faisait respirer des sels, un autre me frictionnait, un troisième agitait un éventail au-dessus de ma tête. J’essayai de me lever… quatre bras m’empêchèrent de quitter le fauteuil où j’agonisais.

Où étais-je ? Que m’était-il arrivé ? je le retrouvais vaguement dans ma mémoire troublée.

Je ne connaissais aucune des personnes qui m’entouraient, elles parlaient espagnol.

Quand je parvins à articuler quelques mots, nul ne me répondit, ces gens eurent l’air de ne pas me comprendre, puis ils sortirent.

J’entendis qu’on tirait des verrous, qu’une clef grinçait dans la serrure. Je me vis prisonnier…

Toute ma colère s’était noyée dans ma faiblesse, j’étais si épuisé que je pouvais à peine marcher. Je titubais, devant m’appuyer aux murs. Je fis le tour de mon appartement. Il se composait d’une chambre à coucher vaste, richement aménagée, éclairée par trois fenêtres garnies de barreaux de fer croisés en losanges. De cette pièce, on passait dans un cabinet de toilette meublé avec un confortable luxueux, une fenêtre également grillagée, lui procurait de l’air, il n’avait aucune autre porte que celle donnant sur la chambre à coucher.

De ce cabinet de toilette, on apercevait la mer immense et étale à l’infini. Je ne pouvais me pencher au dehors pour voir au bas du mur extérieur.

La vue de la chambre donnait sur des bois et des monts. Je devais être à une très grande hauteur, car je n’apercevais que le sommet des arbres. La chambre, très vaste, contenait une bibliothèque garnie de volumes français, un piano, une table à écrire et une autre table couverte de viandes froides, gâteaux, pain et fruits.

J’avais d’horribles nausées, la seule vue des victuailles me soulevait le cœur. Cet état dura deux jours. Matin et soir, un domestique venait, sans dire un mot, renouveler les provisions et procéder au nettoyage des appartements. Peu à peu, je me sentis mieux, mon courage revint, je commençai à songer que je pourrais m’évader peut-être. Bien que je ne puisse savoir où j’étais, je voyais la mer, c’était une voie d’échappement, au large il passait des navires… J’avais toujours aimé à nager, je ne redoutais pas une performance de quelques kilomètres, j’avais devant moi un espoir… gagner un de ces bateaux, être recueilli ainsi qu’un naufragé… je ne pouvais risquer pis que ma position.