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— J’en ai bien peu. Songez que dix années de ma vie se sont écoulées dans le plus profond isolement. Quand j’ai repris l’existence mondaine, dans le but de voir mon fils…, je me suis bornée à me faire présenter dans deux ou trois salons. Celui de la femme charmante que j’ai vue aujourd’hui était un des plus sympathiques.

— La baronne de Belley.

— Oui, elle s’est remariée. À l’époque dont je vous parle, elle se nommait la marquise de Circey.

À ce nom Véga bondit.

— Sophia ! Sophia de Circey. Ah ! et je viens de passer près d’elle ! ma Sophia chérie. Madame, je cours après…

Ce disant, elle ouvrait la portière. Angela la retint.

— Mais vous perdez l’esprit, mon enfant. D’abord, la baronne est fort loin à présent, elle m’a annoncé devoir s’embarquer demain à Saint-Sébastien, elle retourne dans l’Inde.

Véga sanglotait, prise de découragement, elle venait de passer à côté du but de sa vie, elle venait de manquer une occasion unique. Elle avait été un moment à moins de vingt mètres de la femme cherchée depuis de longs mois.

— Calmez-vous, Véga, vous si courageuse, reprenait Mme Deblois, vous voilà terrassée. Nous retrouverons votre… amie plus tard. Comment se fait-il que vous la connaissiez ?

— Mais c’est elle qui m’a amenée de l’inconnu… c’est son mari qui m’a jetée en pâture aux Compagnons de la Stella Negra. Lui et elle savent qui je suis ! Madame, il faut arriver à St-Sébastien avant le départ du paquebot.

— Et Daniel ?

— Daniel, oui, Daniel. Oh ! c’est à se tuer pour savoir.


XXVII

Télépathie

Se tuer pour savoir ! mot profond, juste et parfaitement dénué d’utilité. Savoir les choses de la vie quand on est mort, à quoi bon, puisqu’elles ne servent plus à rien.

Mais l’idée exprimée par cette phrase avait frappé Angela. Les morts savent, si nous interrogions les morts ? Pendant son séjour à Vienne, elle s’était trouvée mêlée à des groupes spiritualistes. De ce côté, pourrait-elle allumer son flambeau ? Elle le dit à sa jeune amie et celle-ci riposta :

— Non, madame, je ne crois pas possible de savoir une chose de ce genre par les révélations des esprits… si les esprits s’occupent de nous, ce qui n’est nullement prouvé, ce n’est pas au point de vue temporel. Dans nos expériences à l’île, nous n’avons jamais pu avoir des preuves définitives vraiment concluantes. J’aimerais mieux un essai scientifique.

— Quoi, la somnambule…

— Encore non, la sortie en astral.

— Qu’est-ce que cela ?

— Le dédoublement de « soi ». Pendant que le corps inerte reste où la matière l’oblige à rester, le corps astral, le périsprit ou, si vous comprenez mieux, le corps fluidique — notre double — peut s’extérioriser.

— Ce n’est pas moi qui peux faire cela.

— Ni moi. Il faut un grand entraînement, mais chez nous à la Stella Negra, il y a l’école d’initiation.

— Qu’est-ce qu’on y apprend ?

— À se spiritualiser. Cette école est dérivée de l’école des prophètes qui florissait en Israël, de celle de Pythagore et de Platon. Mais elle est modernisée, nullement occulte, scientifique.

— Vous me parlez hébreu… citez-moi quelques exemples, ils m’aideront à saisir vos énigmes.

— Eh bien, voici un exemple : les rayons ultra-violets qui ne traversent pas une simple feuille de verre, mais passent au travers d’un quartz…

— Parlez-moi un langage populaire… de mon temps, on n’apprenait pas la chimie.

— Alors imaginez une lorgnette qui permet de voir dans l’éther où sont réfléchis tous les événements… Une lorgnette éclairée par les rayons P. X. inconnus, mais vivants et dont l’intensité émane des corps fluidiques épandus dans notre ambiance.

— Vous me racontez les mille et une nuits !

— Peut-être. Les histoires de la Sultane sont toutes réalisables… Je vais essayer, cette nuit, de me mettre en communication télépathique avec Aour-Ruoa. Je lui demanderai s’il peut nous faire voir dans l’astral…

— Où est Daniel.

— Peut-être pas cela, mais il photographierait votre pensée.

— Voyons, vous divaguez

— Non. Je vous ai surprise en voltigeant, je vous étonnerai davantage en plaçant devant vous mon objectif, celui inventé par nos savants, il enregistrera les fluides émanant de votre plœxus solaire, il verra leur direction. Forcément vos fluides sont aimantés vers votre fils, si vous y pensez fortement, ils iront frapper chez lui la note harmonique et vous communiquerez télépathiquement.

— S’il n’est pas prévenu… il ne devinera pas.

— C’est ce que je crains. Une partie des projections vitales de votre fils émanant de vous, sont en échange constant avec vous, en temps ordinaire ces échanges me sont pas sensibles, il faut les rendre tels pour les utiliser.

— Comment !

— Par la direction des ondes volitives.

— Je me perds à essayer de vous suivre.

— Je vais prier mon cher savant de nous envoyer son « double », s’il le peut il le fera pour moi.

La route devenait aisée, on pouvait aller à petite allure prudente, on tournait maintenant sur le versant espagnol et là l’orage n’avait pas porté, le terrain était sec, la machine soudain s’arrêta, elle était fatiguée… il lui fallait une sérieuse visite, Léonard exprima le désir d’un peu de repos qu’il utiliserait. Bientôt il ferait nuit, où coucherait-on ? Il ne fallait pas songer à gagner une ville quelconque.

— Nous dormirons sous les sapins, bien enveloppés de nos plaids, dit Véga, rien n’est bon et sain comme la nuit au grand air, il suffit de se garantir des « coups de lune ». Vous n’avez jamais dormi une nuit à la belle étoile, madame ?

— Jamais, mais cela ne m’effraie en rien.

L’auto se rangea sur le côté du talus haut et rocheux et les quatre voyageurs descendirent.

Les deux femmes se mirent en quête d’un abri.

— Notre maison est immense, remarquait Véga, voyez la belle forêt de sapins, on est dessous délicieusement, il y fait chaud, les aiguilles sèches deviennent un tapis moelleux quand elles sont recouvertes d’une couverture. Nous allons choisir, si vous le voulez bien, chacun notre chambre à coucher.