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L’officier de l’état civil, suivi du cardinal de Capriva, témoin, s’approchait des époux. Il priait la jeune femme de mettre sa main dans celle du prince, il prononçait les mots qui lient, puis d’une voix forte, pour que tous les assistants entendissent, il prononça :

— François-Charles Dieudonné, duc de Libourne, comte de Blois, voulez-vous prendre pour épouse Angela-Maria-Magdalena de Val-Salut ici présente.

— Oui, dit le mourant qui mit toute son énergie à prononcer ce mot.

— Angela-Maria-Magdalena de Val-Salut, voulez-vous prendre pour époux François-Charles Dieudonné, duc de Libourne, comte de Blois ici présent ?

— Oui.

— Au nom de la loi je vous déclare unis par les liens du mariage.

Un profond soupir venait de s’échapper des lèvres de François, son regard glissa avec une infinie douceur vers celle qui sanglotait près de lui, il parvint à poser la main sur la tête de sa femme, mais il ne put parler.

Quelques minutes plus tard, l’âme de martyr du dernier roi était partie vers Dieu !

Angela de Val-Salut, maintenant princesse, épouse et mère légitime, faillit mourir de chagrin, elle agonisa près de ce lit, où la dépouille mortelle de son époux demeurait, jusqu’à l’heure cruelle où elle lui fut enlevée.

Ses amis l’entraînèrent…

Bien des choses restaient à accomplir. Choses de la plus haute gravité. Le prince avait laissé écrites ses dernières volontés, les instructions les plus détaillées à l’égard de celle dont il avait enfin pu consacrer l’honneur.

Mais cette réparation était plutôt consciencieuse que mondaine, le peuple devait l’ignorer, afin de ne pas déchaîner de nouvelles et terribles haines… celles dont mourait François. Il exprimait le désir que cet acte demeurât entre les fidèles un secret, au moins jusqu’à l’heure où il serait utile de le divulguer. La vie de la jeune femme et de son fils seraient en danger si un soupçon, du fait accompli, parvenait aux ennemis.

Qu’importait à Angela, son cœur était broyé. L’honneur de sa vie morale était sauf, les gloires vaines la laissaient froide, elle vivrait dans la retraite, l’oubli, le silence, veillant de loin sur son enfant.

Elle partit en Allemagne, réchauffer son pauvre cœur à la vue de Daniel, sans oser se montrer. Elle le vit encore à Vienne… puis à Paris, et elle alla vivre au couvent à Bigorre. Seulement, les récentes expulsions des religieuses l’obligèrent à quitter cet asile. C’est alors que, ne voulant pas s’éloigner du château où elle pouvait apercevoir son fils, elle imagina de s’installer dans le mystère des deux vieilles tours de défense du manoir.

Après la mort de François, le baron de Barbentan, affecté au dernier point, n’avait eu que le temps de revenir à Paris. Xavier, libéré du service, y arrivait aussi.

Il reçut avec un certain respect les instructions paternelles relatives à la garde de la cassette aux papiers confiée par le roi, il jura de la garder fidèlement. Ce fut tout.

Jusqu’à l’heure actuelle, il a tenu parole.


XXII

Retour au château

Nous avons abandonné la « femme-oiseau » à l’auberge des quatre routes où elle sanglotait éperdument devant le chemin désert par où venait de s’enfuir l’automobile emmenant son ami… La nuit tombait douce et claire, déjà des reflets de lune dessinaient l’ombre des monts sur la vallée et une grande tristesse paisible montait des choses…

Véga avait une nature énergique, elle avait été surprise par cette atteinte subite du malheur auquel rien ne l’avait préparée, mais elle se ressaisit.

— Je ne vais pourtant pas rester là, se dit-elle, il y a quelque chose à tenter, mais quoi ? Courir après cette voiture fantastique qui fait du cent à l’heure, est fou, l’important sera de savoir par où elle a passé et ce ne sera pas malaisé à retrouver, je pense, en faisant une enquête dès demain. Ah ! si j’avais ici « lady-bird », d’en haut, je verrais où on entraîne mon pauvre ami. Mais je n’ai rien. Le mieux ne serait-il pas de rentrer à Val-Salut et d’aller informer la Revenante…

Cette pensée illumina de joie le cœur de Véga. La Revenante ! oui, la mystérieuse revenante qui avait déjà secouru la jeune fille la nuit de l’incendie en faisant glisser sur de secrètes rainures la plaque de la cheminée et en découvrant derrière un long escalier droit, construit dans l’épaisseur du mur.

Véga se souvenait de son étonnement d’abord, puis du grand plaisir qu’elle avait pris à suivre la belle apparition, qui l’avait prise par la main pour l’éveiller au milieu du danger et, l’entraînant, l’avait guidée à travers le dédale sombre d’un souterrain où, pour toute lueur, elles avaient l’éclairage produit par la robe phosphorée de « l’Esprit ».

Oui, il fallait rentrer vite au château, aller prendre conseil de celle que la jeune fille continuait à nommer la Revenante, mais dont elle avait découvert la véritable humanité.

Véga descendit de la terrasse, les deux mécaniciens, leur repas achevé, causaient sur le seuil de l’auberge ; un peu surpris de la fugue de l’une des autos…

— Léonard, dit Véga prudente, monsieur le comte est parti avec Lord O’Kelly, nous allons rentrer vous et moi à Val-Salut. Avez-vous pu réparer l’accident ?

— Mal, mademoiselle, nous devrons aller bien doucement.

— Il faut partir. Chauffeur, fit-elle, s’adressant au conducteur de l’Anglais, est-ce que vous soupçonniez le départ de votre maître ?

— Un peu, mademoiselle, le « Milord » m’avait engagé seulement hier à Tarbes et m’avait payé d’avance me prévenant qu’il ne savait pas quand il me quitterait… Cependant, je trouve son départ un peu hâtif…

— Vous ne connaissez pas du tout ce monsieur ?

— Nullement, mademoiselle ; à part quelques ordres nécessaires, il ne m’a pas dit un mot.

Évidemment, le mécanicien était sincère. Véga devinait fort bien la machination, elle se souvenait de la lettre déchiffrée, Daniel avait été enlevé par ses ennemis, on le conduisait en Espagne, le plan se montrait limpide. À présent, le seul parti à prendre pour elle était de rentrer, d’écrire à Cleto Pizanni pour implorer son aide ; seulement il était bien loin, quand une lettre le joindrait-elle au milieu de ses voyages continuels ?…

Heureusement, Véga savait se tirer d’affaire, elle ne redoutait rien, âme unique et forte.