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Alors il resta terrifié. Les sapins qui entouraient les ruines flambaient haut, leurs branches rouges et fumeuses frappaient les murs, envoyaient des flammèches par les ouvertures béantes.

— Tout va s’embraser, pensa Daniel, se vêtant en grande hâte et en appelant Wilhem, son valet de chambre, pour qu’il éveillât les domestiques.

Il courut au donjon, franchit la barrière de feu.

— Véga, criait-il éperdu, Véga !

Aucune réponse.

À travers le brasier du rez-de-chaussée, il gagna quand même l’étage où seulement une fumée intense que balayait la rafale par moment, s’amoncelait.

La porte de la chambre hantée était fermée et le scellé intact annonçait que nul n’en avait pu sortir depuis que Véga s’y était enfermée.

— Elle dort, gémit-il, elle va étouffer…

Il secouait la porte avec rage. Le fidèle Wilhem l’avait suivi, tapant de toute sa force l’épais panneau de chêne, aucune réponse ne venait.

— Elle est donc morte.

Avec des pierres, avec une hache, les deux hommes parvinrent enfin à faire sauter une planche de la porte, la barre de fer à l’intérieur la barrait. En passant la main par l’ouverture, ils purent la déplacer, ouvrir enfin.

La chambre était vide.

Le lit de camp avait dû être quitté en hâte, les couvertures abandonnées le prouvaient, mais aucune des fenêtres n’était descellée, et bien évidemment la porte n’avait pas été ouverte avant l’intrusion des deux hommes.

Le feu illuminait la pièce à giorno et les petites vitres cerclées de plomb éclataient.

— Véga, Véga ! criait toujours Daniel.

Maintenant, une averse diluvienne tombait sur la fournaise, les sapins enflammés peu à peu noircissaient.

Désespéré, immobile maintenant, silencieux, le malheureux garçon se sentait devenir fou ! Véga disparue… sa vie était brisée, son cœur mort !

Wilhem entraîna son maître, l’averse avait éteint le sinistre.

Docile, Daniel rentra et quand vint le jour son pauvre visage ravagé offrait le plus lamentable aspect de la douleur. Son étoile, son oiselle, où était-elle, Seigneur ! Il se mit à courir partout, il fouilla le donjon, le parc, le château, il mit sur pied le nombreux personnel et tous cherchaient avec ardeur, sans conviction, le Revenant avait dû emporter l’audacieuse. Le Revenant avait provoqué l’orage, l’incendie, et les valets se signaient en soulevant les branches noircies.

Toujours rien.

À midi, le maître d’hôtel alla sonner la cloche d’appel aux repas, sans conviction, sans l’entrain gai d’habitude, mais il sonnait pour rassembler les serviteurs las de leurs vaines recherches.

Le maître abîmé dans sa peine sans nom, s’était laissé tomber sur le banc de jardin, devant la porte de la salle à manger et d’involontaires sanglots le secouaient.

La cloche d’appel vibrait.

Et alors paisible, calme, les vêtements en un ordre parfait, tous les habitants du château purent voir celle qu’ils cherchaient avec tant d’angoisse, descendre l’escalier du donjon, ainsi qu’elle le faisait chaque jour, à l’heure du déjeuner.

— Hé bien, Daniel, dit-elle, en se penchant sur lui, une alerte, mon ami, un petit feu de joie ! mais qu’avez-vous ? Grand Dieu, quelle physionomie !

— Je vous ai crue perdue, Véga ! Je vous ai crue morte, j’ai pensé un instant que vous aviez dû vous envoler, mais « lady-bird » était resté au château et les fenêtres de la chambre où vous étiez enfermée restaient scellées… Véga chérie, quel est ce mystère ?

— C’est moi la Revenante ! voilà !

Elle riait, elle avait doucement relevé de sa main fluette les cheveux de son ami, et elle effleurait son front.

— Pauvre garçon ! courage et foi ! Ne demandez pas au vent d’où il souffle, aux nuages d’où ils viennent, ni aux esprits leur secret… la seule chose que je puisse révéler, c’est que je vous aime, Daniel, de tout mon cœur… encore un peu de temps et vous serez heureux… Continuons notre vie, ne changeons pas nos plans. Ce qui doit être sera : Jehanne d’Arc disait : Dieu le veult ! répétons son cri de victoire.

— Et de martyre, soupira San Remo.


XV

L’enlèvement

L’alerte passée, ils roulaient gaiement le long de l’Adour, à travers la vallée de Campan, les haies fleuries de digitales roses aux longues tiges sortant des broussailles. Au-delà de l’étroite bande de terres planes, s’élevaient les hautes montagnes enveloppées de sapins et parfois dénudées, escarpées de roches grises.

Daniel encore ému, encore pâle de sa triste nuit, regardait sa fraîche et rieuse compagne toujours gaie, ravie de la douceur du roulement, de l’air balsamique, de la jolie promenade.

Ils s’en allaient au Pic du Midi, avec l’idée d’avancer en auto jusqu’à l’extrême limite du possible, ensuite de monter à pied. Très entraînés tous deux aux marches, ils ne redoutaient pas la fatigue, d’ailleurs ils ne seraient pas seuls à la Cascade du vallon de Rochenue, il y aurait des guides et d’autres touristes.

Ils ne parlaient pas, lui parce qu’il était brisé, las et aussi très déçu, cette fillette avait l’âme cadenassée, rien ne pouvait surprendre le secret extraordinaire qu’elle gardait, ne prenant pas même la peine d’expliquer pourquoi.

Elle se renfermait dans un mutisme obstiné, refusant la moindre explication. Avait-elle vu la Revenante ? — Avait-elle quitté la chambre ? Comment avait-elle pu y parvenir ? Où s’était-elle cachée pendant qu’on fouillait si anxieusement partout ?

Véga se contentait de sourire, disant simplement :

— Je ne crois pas que l’incendie soit dû à un coup de tonnerre, avant que l’orage n’éclatât, le calme était absolu, ni un souffle, ni un bruit n’agitaient les arbres. Or, j’ai entendu au bas de la fenêtre, du côté extérieur, comme un pas furtif, des branches brisées et, il m’a semble aussi, un crépitement de feu qui s’éprend. Ensuite, je me suis endormie pensant me tromper et qu’il s’agissait de quelques gambades de lapins. La clarté fulgurante m’a réveillée.

— Et après, gémissait Daniel.

— Après, il importe peu, puisque tout est fini et que simplement ce fut un feu de joie. Seulement, pour éviter le retour de ces fantastiques éclairages, faites donc couper les sapins par trop envahissants, ceux qui touchent au château du côté extérieur.