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Ils ne troublèrent pas la nichée, allant vers le fond du couloir.

— Voilà la chambre du Revenant, expliqua San Remo, elle forme l’angle de la tour, elle a six fenêtres, deux sur chaque façade et ce sont ces fenêtres qui s’éclairent… La porte de cette dernière pièce est close.

— Et close depuis longtemps, il y a des toiles d’araignées tout autour.

Elle voulut faire jouer le verrou dans sa gaine de fer enfoncée dans le mur, il résista, rouillé. Alors elle ramassa une pierre et, en tapant avec l’aide de son compagnon, elle parvint à le faire glisser, mais la porte résistait, solide, les coups d’épaule de Daniel ne l’ébranlaient pas.

— La barre de fer est mise à l’intérieur et retient le battant, c’est le même système de fermeture qu’au château, expliqua le propriétaire surpris. Qui a pu la placer, puisque cette chambre n’a pas d’autre issue ?

— Quelqu’un qui entre par les fenêtres… comme moi !

— Les fenêtres sont fermées et les lierres qui les masquent prouvent qu’il y a longtemps… c’est inexplicable…

— Le revenant s’enferme. Notre indiscrétion lui déplaît, soyons polis.

Ce disant, elle frappait doucement du doigt recourbé :

— Revenant, bon revenant, ouvrez-nous, suppliait-elle souriante. Si l’heure ne vous plaît pas, je reviendrai cette nuit.

Rien ne répondit, rien ne bougea et cependant Véga crut entendre un soupir… un sanglot.

— Venez, dit Daniel très grave, nous allons involontairement nous suggestionner.

Elle haussa les épaules :

— C’est vous qui troublez le Revenant, je reviendrai seule à minuit.

— Petite folle, je saurai bien vous enfermer.

— Moi ! j’ai des ailes !

Il la prit par la main, l’entraîna vers la tour opposée du donjon encore plus en ruines, les toits manquaient tout à fait et des écureuils jouaient sur les vieilles poutres. Par une fenêtre brisée, ils voyaient se dérouler une splendide vallée : Bigorne, Loubeda, les thermes de Salut.

— Lorda et sa sœur Tarbis passaient un jour par là, raconta Daniel, elles étaient amoureuses de Moïse…

— De Moïse ! Dans quel passé plongeons-nous !

— Seulement dans celui des siècles et c’est peu, en face de ces montagnes qui ont plusieurs mille ans. Donc, les deux sœurs fuyaient poursuivies, traquées par les ennemis avec lesquels le roi leur père était en guerre. Elles arrivèrent en ces contrées sauvages où l’une fonda Lourdes et l’autre Tarbes.

— Ah ! Lourdes, je veux aller aussi à Lourdes.

— Quand nous aurons reçu l’automobile que j’attends de Toulouse.

— La cent chevaux ! Quelle fête de l’étrenner.

— Redescendons, Véga.

Ils se retournèrent, reprirent la galerie par où ils étaient venus et restèrent muets, béants en apercevant de loin, grande ouverte, la porte de la chambre hantée !

Véga courait, mais la pièce était vide.

Seulement elle était propre, les meubles en bon état n’avaient aucune poussière, sur la table un livre d’heure était posé. Daniel l’ouvrit au premier feuillet, il lut ces mots :

« Angela de Val-Salut, avril 18… »

La jeune fille examinait avec soin cette porte mystérieuse, les toiles d’araignées brisées pendaient, un monticule de poussière au bas prouvait nettement que depuis des mois… au moins, cette porte n’avait pas dû s’ouvrir, à part les fenêtres qui donnaient à une hauteur de plus de trente mètres sur la douve emplie d’eau, aucune autre issue n’existait. Une vaste cheminée occupait le fond, à l’intérieur se voyaient des bancs de pierre et une plaque large et haute en fonte sur laquelle se lisait l’écusson des Val-Salut : D’azur au chef de gueule à trois lions de sable passant. En champagne : une tour crénelée d’or et d’argent.

— Singulières armes, fit San Remo. Une fantaisie.

Véga ouvrait les meubles. L’armoire en chêne sculpté contenait encore du linge, un bahut était empli de vieux volumes reliés de peau brune, un autre regorgeait de vaisselle, sur un fauteuil en tapisserie, un capulet de laine blanche était jeté.

— Quelqu’un loge ici ! s’écria-t-elle.

Daniel tressaillit. Il longeait les murs, examinant avec soin les boiseries de chêne à feuilles repliées ; aucune ne sonnait le creux et d’ailleurs où aurait pu conduire une porte secrète, puisque de trois côtés c’était l’espace et du quatrième une chambre béante, où seulement les pas des visiteurs actuels avaient marqué !

Ils se baissèrent sur ces traces, les vérifièrent encore.

— Pourtant quelqu’un est venu, a ouvert la porte et est parti, observa Daniel un peu pâle.

— Voilà, répondit Véga. Ce n’est pas une oiselle, puisque les croisées n’ont pas été ouvertes et que la cheminée, si large soit-elle, ne permettrait pas l’échappement d’un être humain par en haut. Seulement, vous savez que les revenants ont le pouvoir de se dématérialiser et de se réformer, donc ils peuvent passer à travers les murs.

— Je ne crois guère à un Revenant, Véga.

— Moi je crois à une Revenante, ce capulet pyrénéen appartient à une femme, nous l’avons dérangée, elle a fui trop vite, l’oubliant…

— Mais par où a-t-elle fui ?

— Je vais vous dire, une théorie que vous oubliez et qui est celle des Esprits… sera peut-être un jour celle des vivants.

— Encore la science d’Aour-Ruoa !

— Toujours, elle est inépuisable. La matière a quatre états : solide, liquide, gazeux, radiant…

— Oh ! je sais.

— Alors suivez bien, puisque « l’évolution » transpose la matière du solide au radiant en passant par les deux autres états, « l’involution » peut la transposer en sens inverse, c’est-à-dire du radiant au gazeux, du gazeux au liquide et du liquide au solide. Eh bien, le corps de la Revenante a accompli successivement ces divers actes…

Il haussa les épaules :

— Mignonne, soyons sérieux, je vais poster un valet en observation ici.

— Oh ! temps perdu, car il ne verra rien. Moi, mon plan est fait, je viens ici passer la nuit, seule, et je suis bien sûre de voir la Revenante. Il y a un divan, vous me ferez porter une couverture et quelques coussins.

— J’irai avec vous.

— Non. À aucun prix. Les revenants n’aiment pas le nombre.

— Je serai mortellement inquiet.