Page:Anjou - Véga la Magicienne, 1911.pdf/2

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Soudain elle déploya d’un mouvement vif les deux ailes qu’actionnaient ses bras et, dans un « frou-frou », s’enleva avec une rapidité inouïe jusqu’au cintre, elle rasa la voûte dans toute sa longueur, revint au milieu, fit le tour au-dessus des gradins, se reposa en planant doucement au sommet des tribunes, les ailes étendues. Elle se posa un peu au rebord du baldaquin soutenant les tentures du haut de la tribune présidentielle, et elle repartit en se jouant, virant, ondulant, maîtresse de l’air et de l’espace.

L’étranger debout derrière les journalistes, suivait tous ses mouvements d’un œil attentif, d’un regard si étrangement passionné et rayonnant que c’était comme une projection de clarté ; elle alla un instant au-dessus de lui, s’abaissa un peu et un chant doux, à mi-voix, sortit de ses lèvres. C’était comme un murmure de source ou de brise, une chose lointaine, berçante et mélodieuse.

Tout d’abord saisie de ce vol extraordinaire, l’assistance muette n’avait trouvé ni un bravo ni un applaudissement ; mais devant cet acte prolongé, si facile en apparence, si supérieurement exécuté, le Président eut un oh ! d’admiration vite répété, vite grossi d’applaudissements sans fin.

Maintenant, la femme-oiseau s’était posée sur une des barrières du Paddock ; elle attendait la fin du tapage, remuant sa tête rieuse en signe de salutations.

Quand le silence put renaître Cleto Pizanni éleva de nouveau la voix :

— Monsieur le Président et toute l’assemblée, vous avez vu le problème du vol humain résolu, vous avez vu combien il paraît aisé et cependant, je le répète, nul ne peut imiter notre « Lady-bird » ; beaucoup ont essayé et risqué de lamentables chutes. Pourquoi ? — Parce qu’aucune de ces audacieuses créatures ne peut résister au battement de cœur, au vertige… Véga est en ce moment aussi calme que vous ; quand elle est au sommet de cette voûte, exposée à une chute mortelle, aucun effroi ne l’effleure, elle raisonne ses mouvements, calcule son souffle et emplit ses poumons avec une méthode parfaite, car le souffle aspiré et expiré a une action prépondérante sur l’envol…

À présent, je vais prier Monsieur le Président de désigner tel oiseau qu’il lui plaira ; l’expérimentatrice l’imitera dans son vol, lent ou lourd, droit ou courbe, capricieux, virevoltant. Véga, dans l’île de la Méditerranée où elle fut élevée a pu étudier les allures de ses frères ailés et elle sait les reproduire toutes.

— Mais n’est-elle pas fatiguée ? objecta M. Laborieu.

— Elle ne l’est pas. Son art est tel qu’elle sait s’identifier avec l’oiseau, réaliser la parfaite aisance de ses mouvements ; les instants où elle plane, presqu’immobile, sont des repos.

— Eh bien, imitez le faucon, lança M. Deschamps.

Aussitôt Véga s’enleva droit à la voûte et se laissa tomber, ailes fermées, avec une rapidité foudroyante jusqu’à quelques mètres du sol où elle déploya de nouveau ses ailes et resta planant.

Les mains battaient, les cris d’admiration fusaient ; tous à la fois les spectateurs criaient : faites la mouette, le goéland, le vautour, la perdrix, le moineau, etc., c’était étourdissant !

Véga nageait dans l’air, elle se jouait en l’espace comme si nul autre élément ne l’eut attirée. Elle était maîtresse de la pesanteur, de l’attraction, elle était… ange !

Après de nombreux essais en l’air elle revint en tournoyant, décrivant de grands cercles, se poser juste à l’endroit d’où elle était partie, elle secoua ses ailes, posa un instant son frais visage dessous, d’un gracieux geste d’oiselle lasse, puis, aidée de son imprésario, quitta son armature.

De nouveau elle apparut en maillot, aucun souffle haletant ne soulevait sa poitrine, ses joues n’étaient pas plus roses. Extrêmement calme, elle s’enveloppa de la soyeuse « sortie de bal » et d’un pas agile et vif, regagna le paddock.

Les invités de cette étrange matinée se retiraient par groupes, causant et commentant, surtout admirant la charmante oiselle…

Le Président s’en allait à pied, à l’Élysée, sans hâte, saluant un peu pour qu’on le remarquât sur la promenade peuplée d’enfants et de leurs gardiennes ; les ministres songeaient à envoyer leur carte à « l’héroïne » du jour, à l’inviter à leurs réceptions.

Les journalistes, restés à la sortie, guettaient la voiture qui allait emmener la jeune fille, voulant la suivre, croquer un interview.

Mais ils furent déçus, une auto fort correcte était entrée du côté des écuries et ressortie de même, contenant derrière ses stores légers, Mlle Véga de Ortega, il signor Cleto Pizanni et le propriétaire du véhicule, celui qui avait si passionnément, de la tribune des journalistes, suivi l’envol : le comte Daniel de San Remo.


II

Henry-Dieudonné-Daniel de Val-Salut, Comte de San Remo

En remontant l’avenue des Champs-Élysées, les stores du landau automobile se levèrent, ceux qu’il contenait ne craignant plus les indiscrets.

— Tu es contente, petite Véga ? fit Cleto Pizanni.

— Mais oui, Tio, cela m’amuse infiniment de nager dans l’air, c’est encore plus doux que dans l’eau. Ce que j’aimerais mieux serait d’aller vers les forêts, les bois, libre, et de me mêler à mes frères… les oiseaux.

— Ils auraient peur de vous, riposta le comte de San Remo.

— Oui, d’abord peut-être, mais ils s’accoutumeraient. Dans notre île, à la Stella Négra, je faisais bon ménage avec les goélands.

— Alors, si votre oncle le permet, je vous proposerai de venir chez moi au Val-Salut ; vous aurez des bois à perte de vue.

— Quel bonheur ! Et où est Val-Salut ?

— Dans les montagnes des Pyrénées, au pays de Bigorre.

— Je veux bien, mon cher comte, vous confier Véga pendant mon absence, puisqu’il faut absolument que je cesse un moment mon métier bizarre « d’impresario d’une Étoile » pour reprendre mes occupations diplomatiques ordinaires.

À ces mots, San Remo sourit imperceptiblement et reportant ses yeux bleus, très doux, sur « l’Étoile », il dit :

— Il faudra, mon ami, me transmettre aussi vos pouvoirs, car l’indomptable enfant devra m’obéir et ne pas risquer follement sa vie à travers les espaces… où brillent ses sœurs…

— Les Étoiles. Je vais moins haut, hélas ! Soyez sans crainte, Monsieur, fit Véga câline en posant sa petite main douce sur celle du comte, je ne vous causerai aucun souci.