Page:Angot - Louis Bouilhet, 1885.djvu/62

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
58
LOUIS BOUILHET

les plantes voraces, et les grands polypiers. Un monstre aux flancs livides et gluants, au ventre ridé, aux pattes monstrueuses et écaillées, au museau grêle et difforme, s’arrête au bord du rivage et pousse avec force un long mugissement, premier cri de la vie qui va se perdre au fond des solitudes. Voici les madrépores blancs, les éponges, les algues, les tortues et les crabes. Tout cela s’agite, pendant que les bambous, les zamias et les mousses frissonnent sous le vent.

Puis, naissent des monstres de toute espèce aux formes les plus bizarres ; entre eux ce ne sont que des combats sans cesse renaissants.

Peu-à-peu l’air devient plus doux, le ciel rayonne, tout tressaille, tout bourgeonne et fleurit. Dans les halliers ce ne sont que parfums et bourdonnements. Le soleil éclaire un monde gigantesque : pins aux grappes roses, lianes, cyras, bananiers au feuillage pouvant abriter une colline, limaçons bossus, fourmis, lézards, abeilles, libellules, papillons d’azur et de carmin répandant du bout de l’aile les calices énormes des grandes fleurs sur la mousse sauvage. L’araignée tend sa toile du bout d’une colline à l’autre. La vie se répand avec intensité ; les oiseaux fendent les airs dans leur course rapide, les animaux peuplent peu-à-peu les forêts et les plaines.

Enfin ! voici l’Homme !

Comme un germe fatal par la vague apporté,
Au bord des grandes eaux quand l’Homme fut jeté,
Il roula, vagissant, sur la plage inconnue.
La pluie aux flots glacés inondait sa peau nue…[1]
… Il se traîna d’abord, sous les forêts désertes,
Dont les dômes flottaient comme des tentes vertes ;
Puis, quand la faim première aboya dans ses flancs.
De l’yeuse sauvage il secoua les glands[2] ;


  1.  

    ...............Sylvestria membra
    Nudabant terrœ......     Lucrèce, de nat. rer.

  2.  

    … Grandiferas inter curabant corpora quercus
    Plerumque...............   (Id.)