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il certain qu’il est fataliste comme le sont presque tous les grands scélérats. Il ne porte point la livrée ordinaire du vice et de la misère, il est même passablement bien mis.

« Certes, l’heure avance, » observe tout-à-coup Waterworth, sortant de sa rêverie et tirant une fort jolie montre d’argent. « Cette montre, » ajoute-il, « est tout ce qui me reste de ce commerce-là ! mais à l’œuvre, si vous êtes prêt à m’écouter, je le suis à tout vous révéler. » Et il commence son récit.

« Je suis natif du Comté de • • • en Irlande, et mes parens sont originaires de Liverpool ; j’émigrai en Canada avec toute ma famille, il y a quatorze ans, et je vins demeurer avec mon père sur une ferme située sur le chemin de la Petite-Rivière à deux milles de Québec, d’où nous partîmes quelques années après pour aller nous établir dans le Township de Broughton. Je suis passablement instruit, et j’ai fréquenté constamment les écoles jusqu’à l’âge de treize ans. J’ai à présent vingt-neuf ans accomplis. Quels que soient les crimes qu’on puisse aujourd’hui me reprocher et que j’avoue moi-même, je déclare que dans ma jeunesse je n’ai jamais senti d’inclination à voler, et qu’avant l’année 1833 je ne m’étais jamais rendu coupable d’une offense de ce genre. Lorsque j’étais enfant, mes dispositions étaient telles qu’on me citait pour modèle à mes compagnons. Hélas ! j’ai bien changé depuis, grâce à un concours de circonstances, dont je ne sais trop si j’ai été le maître ! »

« Dans l’Été de 1833, il m’arriva de venir à Québec pour y conduire du bois de sciage, appartenant à un marchand de Québec. Comme j’étais dans le Port, un homme d’assez bonne apparence saute de terre sur mon Cajeu, et m’accostant brusquement, — « Garçon, » me dit-il, tu as là d’assez beau bois ; vite, un bargain ; quel est ton prix ? » —

— « Ce bois n’est pas à vendre, il ne m’appartient pas, » lui dis-je, « mon bourgeois… »

« Qu’est-ce que cela fait ? Tiens, vends le moi toujours ; personne n’en saura rien ; décide-toi, c’est du comptant, c’est du cash ; ça garnira ta bourse, et tu te sauveras. Ah ! ça, voyons, je te donnerai tant du pied. Ne fais pas l’enfant.

« Oh ! non, je ne puis me résoudre. — »

— « Je te souhaite, mon garçon, que ces scrupules se passent, car tu auras de la peine à te tirer d’affaires. Eh ! bien, puisque tu ne veux point me vendre ce bois-ci, du moins, si tu en trouves, amène-le moi, je