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C’est pour moi comme un songe, une fatalité, l’accomplissement d’une malédiction. Je ne sais quel charme m’a entrainé dans cette périlleuse carrière, ni quelle main m’y a poussé si loin. Sans doute, il y a une fatalité qui préside à nos actions, car jamais je n’avais eu auparavant l’idée des crimes auxquels j’ai pris part. Tout s’est fait en un moment, et sans que j’aie eu le temps d’y penser. À peine aujourd’hui puis-je revenir de mon étonnement, au sortir de cet aveuglement étrange. Hélas ! je ne sais quel pouvoir mon compagnon, (Cambray,) avait acquis sur moi ; mais il est certain que j’aurais fait tout ce qu’il aurait voulu. ».

« Comment ! il avait donc beaucoup d’influence sur vous ?

« De l’influence ! ah ! plus qu’il n’est possible de l’imaginer. J’avais pour lui le plus grand attachement ; je l’aimais plus qu’un père, plus qu’un frère, plus qu’il ne me sera jamais possible d’aimer personne ; j’aurais tout fait pour lui, tellement que je ne puis m’empêcher de croire que j’étais sous l’influence de quelque charme, de quelque pouvoir magique. Chaque fois qu’il a été arrêté, j’ai couru me livrer moi-même entre les mains de la Police, résolu de partager son sort. Encore aujourd’hui que ma déposition le fait condamner à mort, car sur mon serment j’étais obligé de dire la vérité, si l’on veut commuer sa sentence, je consens qu’on me déporte pour vingt ans dans la région la plus sauvage du monde. »

Le complice révélateur prononce ces dernières paroles avec l’accent de la douleur, et ses yeux se remplissent de larmes. Il demeure silencieux pendant quelques minutes, l’esprit bourrelé en apparence de hideuses réminiscenses et de violentes commotions.

George Waterworth est âgé au plus de trente ans, grand d’environ six pieds, bien fait et bien proportionné dans sa taille. Il n’a point la mine repoussante que l’on prête d’ordinaire aux gens de sa classe ; au contraire, il a presque un extérieur avantageux et une belle tête. Il a les cheveux blonds, les traits assez réguliers, les mouvemens un peu raides ; son regard est fixe et excessivement dur, son air intelligent quoique froid, sa bouche très large, et ses joues fort hautes. Pâle, rêveur, mélancolique, il annonce un homme brisé par de violentes secousses, soumis à de rudes épreuves. Sa figure n’est pas désagréable quand elle est en repos, mais quand il parle il se fait dans sa physionomie une contraction convulsive qui lui donne une expression rebutante, ce qui provient en partie d’un empêchement qu’il a dans la parole. Il s’exprime avec précision, clarté et élégance, car il est passablement instruit. Il parait surtout doué d’une mémoire prodigieuse. D’après ses propres aveux nous doutons qu’il soit courageux et déterminé ; au contraire, il nous semble qu’il soit facile de le conduire et de l’influencer. Il ne manque pas de tact et d’observation, car il trace bien le caractère de ses complices. Il se dit croyant, toujours est-