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dans une chambre commune, suivant la funeste coutume suivie dans nos Prisons. Ils y rencontrèrent Mathieu et Gagnon et nombre d’autres vieux délinquans, tous célèbres dans les annales du vice, avec lesquels ils formèrent des associations criminelles et de nouveaux complots contre la société. Il est difficile d’imaginer et plus encore de peindre les mœurs diaboliques qui règnent dans ces cercles de bandits. Pour en donner une faible idée, nous ferons encore parler le complice-révélateur, (Waterworth,) de qui nous tenons la plupart de nos renseignemens.

« Tant que nous fûmes dans le cachot et à la chaîne, notre position me parût si affreuse que je crus ne pouvoir la supporter. Par bonheur, on nous en tira bientôt, pour nous mettre dans une chambre, où nous rencontrâmes nombre de vieilles connaissances. De ce jour la prison ne me parut plus si affreuse, et nous eussions été assez heureux, si ce n’eût été de l’amour de la liberté, sentiment si naturel à l’homme et si désespérant pour le captif. Nous n’avions rien à faire qu’à raconter nos prouesses et à former des plans d’évasion et des complots de vol. Les anciens confrères nous fesaient part de leurs tours, de leurs aventures, de la connaissance qu’ils avaient des bonnes maisons, et des projets qu’ils se promettaient d’effectuer à leur rentrée dans le monde. Nous nous encouragions dans le vice, et les moins expérimentés pouvaient en peu de temps faire d’étranges progrès. J’ai entendu là des récits qui m’ont fait dresser les cheveux, à moi dont la conscience commençait pourtant à prendre de la latitude. Nous avions parmi nous un singulier caractère : c’était Dumas, voleur adroit et prudent, qui n’a encore jamais couru le risque de danser dans l’air, et qui néanmoins a passé plus de la moitié de sa vie dans les prisons. Ses camarades l’appellent le Capitaine Dumas, et en ont fait le patriarche des grinchisseurs de la haute pègre, (voleurs de profession.) Ce bandit original tient depuis dix ans un journal des exploits de sa petite bande, et se charge du soin d’endoctriner les jeunes gens, et de les initier aux détails de tous les crimes commis ou à commettre. À l’approche d’un Terme Criminel, il se fait le président d’une Cour régulière, devant laquelle chacun plaide son procès. Il dicte à chacun sa défense, écrit des discours, adresse le Jury, fait une réprimande paternelle aux coupables et prononce des sentences dérisoires. C’est ainsi que les détenus s’instruisent mutuellement dans leur petite industrie, et se familiarisent avec les peines imposées par les lois, jusqu’au point de faire un jeu de celles qui sont les plus rigoureuses. Il y avait avec nous un homme d’une force herculéenne, qui jouait à la potence, et se suspendait par le menton sur un mouchoir de soie, pour nous donner le plaisir des contorsions d’un pendu. Nous n’étions pas toujours oisifs, car tandisque Mathieu et compagnie fabriquaient chaque jour de fausses clefs de bois, pour effectuer nos projets d’évasion, Cambray et moi nous avions pris des arrangemens avec un faux-monnayeur du nom de K . . . . . y, et nous travaillions de concert avec lui à un appareil qui devait, à notre sortie de la prison, changer notre vierge d’argent en écus américains. Et quand