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Il avait en effet reconnu Mathieu parmi les brigands, Mathieu natif de la côte Beaupré, filou redouté dans sa paroisse sous le nom de Polette : mais il y avait dix ans que Mathieu avait quitté le lieu de sa naissance et s’était jeté dans le commerce en grand. Il était fier à-présent ; il avait honte de la campagne, comme un commis d’auberge a honte de ses cousins de village.

— « Ah ! tu me reconnais » dit Mathieu, « c’est ton malheur, c’est ton coup de mort ! sans cela, vous en étiez quittes pour votre argent ! À présent, il faut que vous mouriez, ou que je sois pendu ; eh bien ! mourez. »

Et au même instant, les cinq bandits les tirent hors de leurs voitures, les renversent par terre, et leur tiennent la tête à l’eau, jusqu’à ce qu’ils soient étouffés. Quand ils sont morts, ils détellent les chevaux, poussent les voitures et les deux cadavres dans le courant, pour faire croire que ces deux hommes ont manqué leur route et se sont noyés ; puis ils se sauvent avec leur chaloupe à deux lieues de là.

Une heure plus tard, environ vers dix heures du soir, un homme, assez bien mis, mais tout percé de la pluie, se présente chez un Curé de la Côte Beaupré, et demande à couvert pour la nuit. On l’introduit, et l’hôte l’apercevant, s’écrie avec l’accent d’amitié : —

— « Comment ! c’est vous, • • • (Cambray,) ! Et où allez-vous donc de ce pas là ? Vous allez souper d’abord ; et j’ai pour vous un lit excellent. »

— « Oh ! je ne vais pas loin ; — un parti de chasse à Ste. Anne. Quant à votre souper, je ne le refuse pas ; car j’ai bon appétit. »

Et voilà la conversation engagée, riante, amicale, familière, en attendant qu’un souper exquis et copieux s’apporte sur la table, et réunisse les deux amis autour d’une table ronde.

« Tiens ! » dit le Curé, « voici un fou sur la grève ! Encore des canailles, sans doute, qui vont nous voler nos moutons cette nuit !

— « Pardon ! Messire, » dit Cambray, « ce sont des matelots qui m’ont amené : ils descendent pour une avarie de mer. »

Enfin les deux amis se mirent à table, et soupèrent copieusement, après quoi monsieur le Curé se mit à dire son bréviaire, et Cambray passa dans la cuisine se sécher au feu de la cheminée.