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« Tu le sauras, quand nous y serons rendus, » répondit l’autre d’une voix un peu aîgre.

« Hein ! » murmura le premier, « il n’a pas l’air d’humeur ; mais Camarade, est-ce que tu as encore sur le cœur ce que j’ai dit l’autre soir chez Madame A…… Écoute donc, je n’ai rien gâté ; j’ai seulement dit que je connaissais ceux qui étaient de l’affaire Montgomery, voilà tout : je n’ai nommé personne ; et puis j’étais bien en train ! ça ne peut pas tirer à conséquence. »

« De grâce, ne m’en parle plus, » répliqua l’autre avec passion ; et réprimant un mouvement de rage, qui fit tressaillir tous ses membres, il grommela entre ses dents : —

« Il est temps, je crois ; je suis bien assez loin ! oui, c’est ici… »

« Quoi ! » interrompit le premier tout sémillant de loquacité ; « est-ce ton grapin, cette grosse pierre que voici attachée de deux brasses de câble ? Trois pieds seulement… ! tu iras loin avec cela ! »

« Plus que tu ne penses peut-être… mais… mais… vois donc, diable ! Holà ! vîte à l’écoute ! sacre-dieu, dépêche-toi donc ; la voile va se déchirer. »

« Et pourquoi l’as-tu laissé aller ? tu l’avais en main ! n’importe… bon augure… nous voilà entre les deux éclisses ; nous ferons peut-être une descente ! »

Et en disant ces mots, il se précipite sur le devant de la chaloupe, et montant sur l’une des banquettes, se penche pour attraper la voile qui frélate aux grés des vents, et lui échappe sans cesse. Tandis qu’il s’occupe à cette manœuvre, son compagnon quitte sans bruit le gouvernail, s’avance vers lui sur la pointe du pied, et d’une main lui passe dans le cou l’extrémité du câble attaché au grapin dont il s’est moqué, de l’autre le frappe rudement sur la nuque, et le renverse hors de bord avec la pierre, qui l’entraîne dans l’abîme sans lui donner le temps d’achever une exclamation de désespoir. Cependant l’infortuné parvient à se débarrasser du lourd fardeau qui le retient sous les eaux, et tandisque son ennemi, penché sur le bord de l’esquif, regarde avec une joie féroce les bouillonnemens de l’onde qui vient de se refermer sur lui, il remonte vers la lumière et se rencontre face-à-face avec son adversaire. Le cœur plein de rage et de désespoir, il s’élance hors des flots comme un monstre marin, saisit des deux mains son adversaire à la gorge, et suspendu dans cette position dans l’élément mobile qui fuit sous ses pieds, il le fixe d’un œil étincelant, le tient étranglé sous l’étreinte mortelle de ses doigts de fer, et dans l’agonie de sa fureur lui lance des imprécations.