Page:Angers - Les révélations du crime ou Cambray et ses complices, 1837.djvu/40

Cette page a été validée par deux contributeurs.
39

CHAPITRE X.


Une expédition par eau. — Le prix d’une indiscrétion. — Un moment critique.


Quelques jours après le vol commis chez Madame Montgomery, deux hommes étaient auprès du quai des Indes dans une petite Chaloupe, dont ils s’occupaient à dérouler les voiles. Une troisième personne, qui se tenait sur le quai, disait à l’un d’eux : —

« Ne manque pas ton coup toujours, car c’est bien important, comme tu sais ; il s’agit de notre propre sûreté… »

« N’aie pas peur, Camarade, je ferai bien mon… affaire. »

Et les voiles étant ajustées, la brise, qui soufflait de l’ouest, emporta en un instant la Chaloupe loin du quai, dans la direction de l’Isle d’Orléans. Le soleil venait de se coucher, et les ombres commençaient à se répandre sur les flots. C’était un beau soir du mois de Juin, quand les côteaux, les campagnes et les vergers, que la nature a groupés avec tant de richesse et de variété dans les environs de Québec, sont couverts de verdure, de fleurs et de troupeaux, et que la rade, remplie de grands vaisseaux, venus de toutes les parties du monde, ajoute encore à ces beautés naturelles. C’était à cette heure d’illusion et d’ineffable enchantement, quand la nuit commence à mêler à la clarté et aux mouvemens du jour son clair-obscur et sa première tranquillité. Les rivages, les bosquets et les mâts des vaisseaux se reflétaient dans le cristal des ondes ; et les échos ne retentissaient plus que des chants des marins, et d’un certain bruissement sourd qui sortait de la cité. Cependant la brise augmentait, et le clapotis des vagues commençait à s’agiter sur les flancs des vaisseaux, tandisque la lune s’élevait à l’horison à travers quelques nuages venteux ; la lune que les anciens ont appelée la chaste Lucine, probablement parcequ’elle est destinée à contempler en silence toutes les impuretés et autres horreurs que l’on cache à l’œil du jour.

Déjà l’esquif s’était dégagé du labyrinthe inextricable que forment devant Québec les vaisseaux sur leurs ancres, et croisait seule dans le bassin qui s’étend de Québec à l’Isle d’Orléans ; déjà aussi les ombres s’épaississaient, et la personne restée sur le quai n’appercevait plus les voiles de la chaloupe que comme une petite vapeur blanche qui aurait rasé la surface des eaux.

« Te voilà bien rêveur, » dit l’un des deux marins à son compagnon ; « belle brise ! belle brise, n’est-ce pas ? Je ne sais pas exactement où tu me mènes, mais nous irons loin avec ce vent-là ! Dis-moi donc, où sont-ils les plançons en question ? y en-a-t-il beaucoup ? »