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« Oh ? pour cela tu as raison ; ne confions point notre secret à trop de monde. Dans un moment critique, on se laisse intimider, on oublie ses sermens, et soit faiblesse, soit remords, soit trahison, pour se sauver l’on mange le morçeau, l’on dit tout. »

« Ah ! mille diables, si jamais complice me fesait pareil tour ; si je soupçonnais qu’il y eût un lâche parmi nous qui osât seulement y penser, qu’il ne serait pas longtemps redoutable ! que je lui ferais bientôt perdre le goût du pain !

« C’est pourquoi il nous faut choisir, » dit Waterworth avec un air un peu embarrassé, « des hommes d’énergie et de confiance, capables de se laisser pendre, plutôt que de lâcher un mot. Si Dumas n’était pas en prison ! C’est un rusé coquin celui-là ! »

« Dumas ! il ne fait jamais les affaires en grand : il craint trop de danser en plein air. Je te l’ai déjà dit, c’est Mathieu que je cherche. C’est là l’homme qu’il nous faut, déterminé comme un diable, ne craignant ni ciel ni terre, plein de ruses et de sang-froid, discret, vigilant, aguerri, et capable surtout de faire sauter une serrure mieux que qui que ce soit. Et puis, ce qui n’est pas à mépriser, c’est un vieux misérable coquin, qui ne connait pas son mérite et qui ne sait pas le faire payer. Quelques piastres pour boire bouteille et passer une nuit de désordre, voilà ce qu’il demande. Il ne connait rien de mieux. Trouvons-le, et deux autres brigands sécondaires, que nous paierons tant la nuit, ferons notre affaire… »

— « Certes, Mathieu ! c’est bien ce que nous pouvons trouver de meilleur ! et deux autres seulement… C’est bien peu ! — répliqua Waterworth, et comme il prononçait ces dernières paroles, les deux compagnons sautèrent une cloture, et découvrirent à quelque distance un peloton d’hommes et de femmes. C’était la bande qu’ils cherchaient. —

Les plaines d’Abraham et les bois environnans, particulièrement celui du Carouge, sont le rendez-vous ordinaire d’une classe d’industriels, qui trouvent plus commode de ne point travailler et de vivre sur le bien commun ; hommes marqués du sçeau de l’infamie, rebuts de la société, unis pour le crime et ligués contre les lois, n’ayant d’autre ressource pour vivre que dans des attentats que la justice repousse, et qu’accompagnent le remords, et le danger. Ils ne connaissent ni la paix ni la sûreté ; ils n’ont pas même le revenu médiocre mais régulier de la pauvreté ; gorgés de leur proie ou mourant de faim, ils veillent et dorment sur le bord d’un précipice, un bandeau d’infamie sur les yeux et une corde autour du cou.

Ils ne connaissent point le repos de l’homme honnête. De cruelles