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Messieurs du Jury : — C’est avec une douleur bien sincère que je me vois forcé de vous adresser la parole dans une occasion comme celle-ci, où il y va de ma vie, si vous me trouvez coupable de l’offence dont je suis accusé. Ma situation est d’autant plus pénible que je n’occupe ici que la place d’un autre, auquel on m’a substitué. Waterworth, le témoin du Roi dans cette cause, le seul témoin qui m’implique dans le vol sacrilège de la Congrégation, me fait occuper le rang d’un de ses parens, de Norris, le mari de sa sœur. Pour le sauver, il me perd ; pour ménager un parent, il livre un innocent au glaive de la justice. Je vous prie de bien faire attention à cette observation, et au caractère de celui qui dépose contre moi. C’est le même homme qui l’année dernière s’est parjuré devant cette Cour, lors qu’il osait dire que C… (Cambray) n’était pas l’auteur du meurtre de Sivrac, commis à Lotbinière, et dont lui-même était complice ; lorsqu’il jurait en face du ciel et des hommes qu’il lui avait vu acheter des cuillères d’argent que lui-même lui avait aidé à voler. Huit personnes auraient pu prouver ces faits et ce parjure, s’il m’eût été possible d’assigner des témoins ; mais enfermé depuis dix-huit mois dans la prison, sans argent et sans protection, que pouvais-je faire ? Les Subpœnas que je m’étais procurés quelques jours avant ce Terme m’ont été enlevés par mes Compagnons de prison. L’homme qui me dénonce est le même qui s’avoue le complice du vol commis chez Madame Montgomery ; c’est le brigand qui n’a plus honte d’avouer qu’il est entré dans une Église, pour y voler les choses saintes, et y insulter la divinité ; c’est lui qui était à la tête des vols nombreux commis à la Basse-ville, dans les Comptoirs des Marchands. Oui, c’est là l’homme qui jure sur sa conscience, en l’absence de tous autres témoins, que j’étais son complice, à la place de Norris, son beau-frère, qu’il a intérêt de cacher ; c’est-là l’homme dont vous avez à peser le témoignage. Rappelez-vous qu’il y a eu devant cette Cour même des exemples où des complices ont ainsi substitué des innocens aux véritables criminels. Dans le cas du vol de M. Masse à la Pointe Lévy, un témoin du Roi accusa quatre personnes qui n’avaient nullement trempé dans cette affaire, lorsque subséquemment une personne ayant rendu un témoignage bien différent, fit convaincre les véritables auteurs du crime, et sauva la vie à quatre innocens faussement accusés. L’homme qui s’était ainsi parjuré était le chef de l’entreprise de la Pointe Lévy, et il fut exécuté : c’était Ross, qui fit alors tant de sensation dans cette Ville. Rappelez-vous qu’il y a dans Québec un grand nombre de voleurs cachés, qui ont l’art de mettre sur le compte des vieux délinquans, qui ont souvent paru à cette barre, et qui sont aisément soupçonnés, les crimes qu’ils commettent dans les ténèbres. J’avoue que j’ai le malheur d’avoir une mauvaise réputation, et que j’ai déjà eu la disgrâce de paraître devant ce tribunal ; mais si j’ai été coupable, j’ai été bien puni. Si ma réputation est mauvaise, le soupçon tombe plus aisément sur moi ; un parjure a plus d’avantage à me charger de ses fautes, et à en écarter de lui la responsabilité. Ne faites donc pas attention à mon caractère passé, et daignez ne prendre en considération que ma situation actuelle.