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gages des journaliers pour enlever la marque des bois, et des écumeurs dont de L… était le chef, pour courir les grèves après les orages. Ce dangereux trafic nous fit souvent de mauvaises affaires, et faillit nous troubler avec la justice. L’effronterie et la manière brutale avec lesquelles Cambray répliquait aux impudens qui voulaient lui chercher querelle et réclamer leur propriété, nous tirèrent de quelques mauvais pas. Je me souviens que dans une semaine nous vendîmes trois fois le même parti de bois, dont deux fois à la même personne. Il est vrai que nous avions de nombreux antagonistes dans ce genre de vie, et c’est presque le seul obstacle que nous rencontrions dans notre petit négoce.

« Je ne doute nullement que les profits ne fussent très-considérables, mais je n’en puis parler avec certitude, car ce n’est pas moi qui eus la meilleure part.

« Mon associé m’avait fait observer fort sagement que, mon goût pour le plaisir et la dissipation, et mon penchant à boire, il serait mieux pour moi de lui laisser en main tout mon argent, pour en recevoir dans l’automne le montant entier en une somme ronde. Je me laissai persuader, et Cambray tint les comptes de la société. Je les examinai un jour à la dérobée, et je les trouvai assez corrects. Il n’est pas très-instruit, mais il peut tenir ses livres lui-même. Le moment de me rendre compte arrivé, tous les livres disparurent ; il me communiqua un chiffon de papier indéchiffrable, et me remit la belle somme ronde de deux Louis ; j’avais reçu auparavant cinq Louis, en sorte qu’il se trouva que j’avais joué tout l’été mon honneur et ma vie pour la somme de sept Louis courant. Pourtant il n’y avait pas un mot à dire, car on ne raisonnait pas avec lui.

« Dans le cours de l’été, Cambray fit des gageures considérables sur des batailles de coqs, et perdit des centaines de Louis. Un jour il revint tout déconcerté, et me dit :

— « Pourquoi suis-je si fou de gager ? Si je me contentais des dés ! On ne plombe pas un wheeler comme un six. Il me faudra bien des prises pour réparer les pertes que je viens de faire. »

« Il s’en évita le trouble, en me fesant donation de tout ce qu’il possédait, jusqu’au moment où s’étant marié, il donna tout à sa femme.

« C’était une jeune personne gentille, douce, aimable, honnête, aimant son mari à la folie, et cherchant un peu trop à acquérir de l’empire sur lui. Il est étonnant que cet homme, si impérieux et si violent, céda de si bonne grâce aux caprices de sa femme, et se laissa presque conduire par elle. J’ai cru m’appercevoir depuis que ce n’était qu’une feinte, une