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d’avoir, la convoitise, l’ambition des richesses ; et le fonds de son caractère, résultat infaillible de cette active propensité, c’est l’hypocrisie, l’art de feindre et de séduire. Quelques autres particularités qui le distinguent, sont sa dextérité dans les tours de passe-passe, son humeur joviale, son babil étourdissant, son ton impérieux, son manque absolu de sensibilité, sa forte détermination et son inébranlable courage. Il y aurait presque quelque chose de noble dans son caractère, s’il n’était hypocrite, car il préfère d’ordinaire s’essayer dans de grandes et hazardeuses entreprises. Mais j’avoue que je ne puis pas en parler sans préjugés, car j’ai toujours trouvé en lui un homme qui me fascinait. Il ne faut pas croire que ce soit un composé de tous les vices bas et honteux que l’on trouve dans les scélérats vulgaires : au contraire, ses mœurs sont loin d’être dissolues, et de ma vie je ne l’ai jamais vu îvre. »

« Il avait un fort penchant pour les jeux de hasard et d’adresse, et il exerçait impitoyablement sa science d’escamotage et de magie blanche sur les dupes et les gonces de tout genre. Lors de mon arrivée de Broughton il en fit l’essai sur plusieurs de ses amis, respectables citoyens de St. Roch avec un succès si complet, qu’il éveilla presque les soupçons. Comme il se préparait à transporter ses effets dans la maison qu’il avait louée, il fit une râfle d’un grand nombre d’articles dont il disait n’avoir aucun besoin, pour environ quinze ou vingt louis. Arrivé le jour du tirage, par un hasard qui cessera de vous paraître miraculeux, quand je vous aurai dit ce que je sais du secret, seul il gagna le tout : le fait est qu’il s’était servi de dés plombés, qu’avec sa rare dextérité il avait furtivement glissés dans les gobelets. Plusieurs ne purent s’empêcher de murmurer tout bas, croyant peu à cet étrange caprice du sort ; mais pas un n’osa exprimer hautement ses soupçons : il eut été dangereux de mettre en question la probité d’un homme respecté de tout le monde. Il n’y eût que son vieux père qui, lorsque les dupes se furent retirées, lui reprocha avec aigreur d’avoir triché et de tenir une conduite qui tendait à le déshonorer, à le couvrir d’infamie. Il parla comme un homme qui connaissait de son fils d’autres espiègleries, et qui ne lui adressait pas pour la première fois la réprimande paternelle sur le chapitre de l’honnêteté. »

« Dès que la navigation fut ouverte, nous commençâmes à commercer sur le bois en société, et nous fîmes les affaires en grand. Raconter tous les genres de tricheries, de fraude, de smoglerie, de marchés, de jobs, de bargains, nous pratiquâmes pendant l’été, serait bien trop long ; il suffira de dire qu’il ne se passait presque point de nuit que nous ne fîmes quelque bonne prise de bois : nous allions couper les cables des petits cajeux de plançons destinés au chargement des navires, et attendre au-dessous du courant notre proie qui venait nous trouver ; nous nous entendions avec les guides des grandes cages du Haut-Canada, qui nous faisaient bon marché des effets de leurs bourgeois ; nous avions à nos